Miroir de nos peines – Pierre Lemaitre

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Audiolib – janvier 2020 – 14h01 – Lu par l’auteur

Albin Michel – janvier 2020 – 544 pages

Quatrième de couverture :
Avril 1940. Louise, trente ans, court, nue, sur le boulevard du Montparnasse. Pour comprendre la scène tragique qu’elle vient de vivre, elle devra plonger dans la folie d’une période sans équivalent dans l’histoire, où la France tout entière, saisie par la panique, sombre dans le chaos, faisant émerger les héros et les salauds, les menteurs et les lâches… Et quelques hommes de bonne volonté.
Il fallait toute la verve et la générosité d’un chroniqueur hors pair des passions françaises pour saisir la grandeur et la décadence d’un peuple broyé par les circonstances. Secret de famille, grands personnages, puissance du récit, rebondissements, burlesque et tragique… Le talent de Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour Au revoir là-haut, est à son sommet dans ce dernier volet de la trilogie Les Enfants du désastre.
Une fois encore, Pierre Lemaitre donne par sa voix vie à ses personnages, avec un talent qui lui a valu déjà deux Coups de Cœur de l’Académie Charles Cros.

Auteur : De Travail soigné à Sacrifices, ses cinq romans noirs couronnés par de nombreux prix ont valu à Pierre Lemaitre un succès critique et public exceptionnel. Avec Au revoir là-haut, Prix Goncourt 2013, Couleurs de l’incendie, et Trois jours et une vie, il continue une oeuvre littéraire qui confirme un grand écrivain. Il maîtrise l’art de construire des intrigues tenues par d’invisibles fils et des retournements spectaculaires.

Mon avis : (lu et écouté en janvier 2020)
Après  « Au revoir là-haut » puis « Couleurs de l’incendie » voici la fin de cette trilogie romanesque et humaniste « Les enfants du désastre » qui couvre la période de l’entre-deux-guerres.
Dans le premier épisode, Louise Belmont avait onze ans. Nous la retrouvons vingt ans plus tard, elle devenue institutrice et occasionnellement, elle est serveuse dans le restaurant de Mr Jules.
Dans cette France du printemps 1940 qui passe en quelques jours de la Drôle de guerre à la panique de la débâcle face à l’armée allemande, le lecteur découvre les aventures de femmes et d’hommes ordinaires comme Louise, attachante et courageuse,  mais aussi de Raoul et Gabriel, deux soldats intrépides et débrouillards, et bien sûr Désiré, usurpateur de génie, jamais à court d’idées… Une galerie de personnages courageux ou lâches, salauds ou héros qui se trouvent entraînés malgré eux dans des évènements qui les dépassent… Une fresque réjouissante, pleine de rebondissements, qui fait passer le lecteur du rire au larmes, de l’émotion à la colère.
Il est question de fake news, de secrets de famille et d’autres surprises…
La lecture faite par Pierre Lemaitre est vraiment savoureuse, l’auditeur sent l’auteur jubiler à chaque instant et c’est vraiment jouissif. J’ai trouvé Pierre Lemaitre beaucoup plus expressif que dans « Au revoir là-haut » version audio.
Et je n’oublie pas en bonus, l’entretien avec l’auteur qui complète parfaitement cette lecture que j’ai beaucoup aimé.

Extrait : (début du livre)
Ceux qui pensaient que la guerre commencerait bientôt s’étaient lassés depuis longtemps, M. Jules le premier. Plus de six mois après la mobilisation générale, le patron de La Petite Bohème, découragé, avait cessé d’y croire. À longueur de service, Louise l’avait même entendu professer qu’en réalité « cette guerre, personne n’y avait jamais vraiment cru ». Selon lui, ce conflit n’était rien d’autre qu’une immense tractation diplomatique à l’échelle de l’Europe, avec des discours patriotiques spectaculaires, des annonces tonitruantes, une gigantesque partie d’échecs dans laquelle la mobilisation générale n’avait été qu’un effet de manches supplémentaire. Il y avait bien eu quelques morts ici et là – « Davantage, sans doute, qu’on ne nous le dit ! » –, cette agitation dans la Sarre, en septembre, qui avait coûté la vie à deux ou trois cents bonshommes, mais enfin, « c’est pas ça, une guerre ! » disait-il en passant la tête par la porte de la cuisine. Les masques à gaz reçus à l’automne, qu’on oubliait aujourd’hui sur le coin du buffet, étaient devenus des sujets de dérision dans les dessins humoristiques. On descendait aux abris avec fatalisme, comme pour satisfaire à un rituel assez stérile, c’étaient des alertes sans avions, une guerre sans combats qui traînait en longueur. La seule chose tangible était l’ennemi, toujours le même, celui avec qui on se promettait de s’étriper pour la troisième fois en un demi-siècle, mais qui ne semblait pas disposé, lui non plus, à se jeter à corps perdu dans la bagarre. Au point que l’état-major, au printemps, avait permis aux soldats du front… (là, M. Jules passait son torchon dans l’autre main et pointait son index vers le ciel pour souligner l’énormité de la situation)… de cultiver des jardins potagers ! « Je te jure… », soupirait-il.
Aussi, l’ouverture effective des hostilités, bien qu’elle eût lieu dans le nord de l’Europe, trop loin à son goût, lui avait-elle redonné du cœur à l’ouvrage. Il clamait à qui voulait l’entendre, « avec la pile que les Alliés sont en train de mettre à Hitler du côté de Narvik, ça ne va pas durer longtemps », et comme il estimait que cette affaire était close, il pouvait se concentrer de nouveau sur ses sujets favoris de mécontentement : l’inflation, la censure des quotidiens, les jours sans apéritif, la planque des affectés spéciaux, l’autoritarisme des chefs d’îlot (et principalement de cette baderne de Froberville), les horaires du couvre-feu, le prix du charbon, rien ne trouvait grâce à ses yeux, à l’exception de la stratégie du général Gamelin qu’il jugeait imparable.
– S’ils viennent, ce sera par la Belgique, c’est prévu. Et là, je peux vous dire qu’on les attend !
Louise, qui portait des assiettes de poireaux vinaigrette et de pieds paquets, aperçut la moue dubitative d’un consommateur qui murmurait :
– Prévu, prévu…
– M’enfin ! hurla M. Jules en revenant vers le zinc. Par où tu veux qu’ils arrivent ?
D’une main, il rassembla les présentoirs d’œufs durs.
– Là, t’as les Ardennes : infranchissables !
Avec son torchon humide, il traça un grand arc de cercle.
– Là, t’as la ligne Maginot : infranchissable ! Alors, d’où tu veux qu’ils viennent ? Reste que la Belgique !
Sa démonstration achevée, il se replia vers la cuisine en bougonnant.
– Pas nécessaire d’être général pour comprendre ça, merde alors…
Louise n’écouta pas la suite de la conversation parce que son souci, ça n’était pas les gesticulations stratégiques de M. Jules, mais le docteur.

Petit bac 2020a
(2) Objet

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