Masse Critique Babelio
Actes Sud – mars 2024 – 352 pages
traduit de l’anglais par Laure Manceau
Titre original : Real Tigers, 2016
Quatrième de couverture :
“La Maison des tocards” est la branche du mi5 où atterrissent les agents secrets en disgrâce qui ont tellement foiré qu’on ne peut plus leur confier de vraies missions de renseignement. Ces espions ratés, ces rebuts de la profession dénommés “tocards”, sont condamnés à passer le reste de leur “carrière” à végéter dans ce trou sous les ordres toujours aussi saugrenus de Jackson Lamb, enchaînant les missions sans intérêt, bouffant de la paperasse tout en rêvant de pouvoir un jour sortir du placard et retourner au cœur de l’action.
Auteur : Mick Herron est romancier. Il vit à Oxford et travaille à Londres. Il est notamment l’auteur de la série d’espionnage Slough House, dont « La Maison des tocards », « Les Lions sont morts » (qui a reçu le CWA Gold Dagger Award du meilleur roman) et « Mission Tigre» ont paru dans la collection Actes Noirs.
Mon avis : (lu en avril 2024)
Ce roman d’espionnage est le troisième volume, dernier traduit en français, de la série anglaise « Jackson Lamb », qui en compte huit en anglais. Cette série raconte les aventures d’une équipe d’espions du MI5 qui ont été mis à l’écart par les services centraux suite à une mission ratée ou un comportement déviant.
Ils ont été exilés dans un vieil immeuble miteux de Londres, surnommé « le Placard ». Ils espèrent tous un jour réintégrer les bureaux de Regent’s Park. En attendant, ils sont cantonnés à des basses tâches de renseignements et de paperasses au bureau.
Le patron du Placard est Jackson Lamb, un affreux bonhomme, crasseux, pétomane qui tyrannise gentiment son équipe mais est également un professionnel brillant.
Mission Tigre commence avec l’enlèvement de Catherine Standish, ancienne alcoolique, qui est la caution logistique du Placard. Toute l’équipe se met au travail pour chercher Catherine, puis pour comprendre qui a commandité son enlèvement et pourquoi…
L’intrigue est passionnante et pleine de surprises, cela renouvelle totalement les codes du roman d’espionnage : pas de clichés à la James Bond mais au contraire une lutte interne entre les services de renseignements anglais avec l’intrusion des politiques… Ce n’est pas toujours facile à comprendre. Nos placardisés deviennent des héros malgré eux sans oublier l’humour anglais dans de nombreuses situations périlleuses.
Je n’ai pas lu les deux romans précédents « La Maison des tocards » et « Les Lions sont morts », ce qui est parfois gênant pour tout comprendre puisqu’il est souvent fait allusion aux aventures précédentes de nos tocards. Je n’ai pas été trop gênée car j’avais vu il y a quelques mois la série « Slow Horse » tirée de ces romans…
Cependant, je n’ai pas compris le lien entre le chapitre d’introduction et le reste du roman. Mais ce n’est pas essentiel pour apprécier cette lecture !
Merci Babelio et les éditions Actes Sud pour cette lecture trépidante.
Extrait : (début du livre)
Comme souvent en cas de corruption, l’histoire commença avec des mecs en costume.
Matin de semaine aux abords de la City, humide, sombre, brumeux, pas encore cinq heures. Dans les tours voisines, vingt étages pour les plus hautes, quelques fenêtres allumées créaient des motifs aléatoires dans le quadrillage de verre et d’acier ; certaines de ces lumières signifiaient que les banquiers lève-tôt étaient à leur bureau pour devancer les marchés, mais la plupart indiquaient que les autres travailleurs de la City avaient pris leur poste, ceux qui enfilaient leur combinaison dès le petit matin pour passer l’aspirateur, faire la poussière, vider les poubelles. Paul Lowell était solidaire de ces derniers. Soit on nettoyait derrière les autres, soit on ne le faisait pas – voilà à quoi se résumait purement et simplement la hiérarchie sociale.
Il risqua un œil en contrebas. Dix-huit mètres, ce n’était pas rien, vu à la verticale. Il s’accroupit, sentit ses genoux craquer et ses cuisses tendre le tissu bas de gamme de manière inconfortable. Ce costume était trop petit. Lowell l’avait cru suffisamment extensible, mais en l’occurrence il se sentait tout comprimé et absolument pas investi des pouvoirs qu’il aurait dû lui conférer.
Ou alors il avait pris du poids.
Il se trouvait sur une plateforme, ce qui n’était probablement pas le terme correct en architecture, au-dessus d’un passage voûté à travers lequel passait London Wall, la quatre-voies reliant St. Martin’s Le Grand à Moorgate. Au-dessus de lui se dressait une autre tour, dont la jumelle s’élevait à un angle légèrement décalé, abritant les principales banques d’investissement mondiales ainsi que l’une des plus célèbres franchises de pizza. À une centaine de mètres, sur une butte herbeuse en bordure de la route à laquelle il avait donné son nom, se tenait un morceau du Mur romain qui avait jadis encerclé la ville, toujours debout des siècles après que ses bâtisseurs y avaient abandonné leurs fantômes. Tout un symbole, songea Lowell. Certaines choses perduraient, survivaient au changement, et préserver ce qu’il en restait valait le coup de se battre. Les raisons de sa présence ici, autrement dit.
D’un coup d’épaules, il se débarrassa de son sac à dos, le coinça entre ses genoux et le vida de son contenu. Dans une heure environ, la circulation s’intensifierait, en direction de la City ou de l’est, une part importante passerait sous l’arche sur laquelle il était perché et tous ces gens en voiture, taxi, bus et vélo n’auraient d’autre choix que d’être témoins. Dans leur sillage débarqueraient les inévitables équipes de reportage dont les caméras transmettraient son message à tout le pays.