Love Story à l’iranienne – Jane Deuxard et Deloupy

817EDeGA9jL Delcourt – janvier 2016 – 144 pages

Prix France Info de la BD d’Actualité et de Reportage 2017

Quatrième de couverture :
Les jeunes Iraniens rêvent-ils encore d’en finir avec le régime ? Comment se rencontrer dans cette société qui ne le permet jamais ? Comment flirter ? Comment choisir sa femme ou son mari ? Malgré la tradition, malgré le régime. Des journalistes ont interviewé clandestinement de jeunes Iraniens pour donner un éclairage politique et social. Comment échapper à la police pour vivre sa love story ?

Auteurs : Jane Deuxard (pseudonyme) se rend clandestinement en Iran pour poursuivre son travail sans contrôle gouvernemental. De manière à permettre aux Iraniens interrogés de s’exprimer librement. Depuis la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2009 et les manifestations qui ont suivi, les journalistes étrangers ont pour la plupart dû quitter le pays. Jane Deuxard s’est donnée pour mission de contribuer à donner une voix aux Iraniens, par le recueil de témoignages.
Deloupy est né en 1968 à Saint-Étienne. Il est diplômé des Beaux-Arts d’Angoulême, section bande dessinée. Il travaille comme illustrateur indépendant pour la publicité tout en publiant, depuis 2002, pour l’édition jeunesse. Il a illustré de nombreux ouvrages pour les enfants aux éditions Magnard, Bayard, J’ai lu jeunesse, Koutchoulou, Lito. L’Introuvable (avec Alep) paraît en 2006 puis Sans commentaire en octobre 2007. Vient ensuite Faussaires T1, la suite de L’Introuvable, début 2008, et enfin Faussaires T2 en 2010. Avec des frites ?, BD autobiographique a été publiée en 2009. Il est au dessin sur le très remarqué Love Story à l’Iranienne.

Mon avis : (lu en décembre 2019)
Voilà une BD prise un peu par hasard à la Bibliothèque, pour répondre au Challenge Petit Bac 2019, et qui s’est révélée très intéressante.

Journaliste clandestine, Jane Deuxard a obtenu la confiance et le témoignage de nombreux jeunes gens autour de l’amour en Iran.
Gila est fiancé à Mila depuis 8 ans, ils vont pouvoir s’unir avec l’accord de la famille de la jeune femme. Vahid est un étudiant rebelle, il raconte le mouvement vert de 2009, signe d’espoir mais qui a été réprimé.  Zeinab a des relations sexuelles avec son petit ami et passe son temps à acheter des tests de grossesse. Elle n’envie pas les Occidentales, elle trouve très bien de pouvoir rester à la maison pendant que son mari travaille pour l’entretenir. Ashem et Nima projettent eux de se marier, mais ils ont eu si peu l’occasion de se fréquenter qu’ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas du tout la même une conception de la vie… Jamileh s’offre le luxe d’aller respirer en Europe, elle obtient des visas sans difficulté car les consulats savent qu’elle a trop à perdre si elle ne revenait pas en Iran. Pour Soban, ce n’est pas lui qui choisira la femme de sa vie, mais la tradition.

A travers ces témoignages souvent édifiants, Love story à l’iranienne dresse un panorama complet et contrasté sur l’ingérence d’un régime dans ce qu’un homme et une femme ont de plus intime. Mariages arrangés ou forcés, test de virginité, entre traditions et conservatismes, tout est bon pour contrôler et imposer la loi d’État. Même s’il y a de la douleur et de la résignation dans ces récits, il y a également quelques touches d’espoir…

Extrait : (début de la BD)

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Petit bac 2020a(1) Amour

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Marx et la poupée – Maryam Madjidi

Lu en partenariat avec Masse Critique Babelio

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Audiolib – octobre 2018 – 4h46 – Lu par l’auteure

J’ai Lu – septembre 2018 – 220 pages

Le nouvel Attila – janvier 2017 – 202 pages

Quatrième de couverture : 
Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris. À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes, l’effacement progressif du persan au profit du français, qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement, au point de laisser enterrée de longues années sa langue natale. Dans ce récit qui peut être lu comme une fable autant que comme un journal, Maryam Madjidi raconte avec humour et tendresse les racines comme fardeau, rempart, moyen de socialisation, et même arme de séduction massive.

Auteur : Maryam Madjidi est née en 1980 à Téhéran, et quitte l’Iran à l’âge de 6 ans pour vivre à Paris puis à Drancy. Aujourd’hui, elle enseigne le français à des mineurs étrangers isolés, après l’avoir enseigné à des collégiens et lycéens de banlieue puis des beaux quartiers, des handicapés moteur et psychiques, des étudiants chinois et turcs, et des détenus. Elle a vécu quatre ans à Pékin et deux ans à Istanbul.

Mon avis : (écouté en octobre 2018)
Déjà dans le ventre de sa mère, Maryam, vit en direct les troubles de la Révolution Iranienne… Puis à peine née, elle sert d’alibi à ses parents et à leurs amis communistes, pour transporter les tracts… Jusqu’à six ans, elle grandit dans une belle maison à Téhéran avec tout l’amour de ses parents et de sa grand-mère qui lui offre de nombreuses poupées. Opposants au nouveau régime politique de l’ayatollah Khomeyni, ses parents sont contraints à l’exil. Avant le départ, Maryam va devoir donner ses jouets et ses poupées aux enfants du quartier… Maryam préfère les enterrer dans le jardin pour pouvoir les retrouver à son retour… 
A six ans, Maryam découvre une nouvelle vie à Paris, dans un nouveau pays dont elle ne connaît ni la langue, ni les coutumes… Avec ses parents, elle vit dans une chambre de bonne avec les WC sur le palier, la nourriture est différente de celle de l’Iran, sa grand-mère lui manque. Maryam va aller à l’école et apprendre le français. 
A travers de souvenirs d’enfance, de contes persans, d’anecdotes et de moments de poésie, nous voilà avec un très beau roman sur l’exil. Maryam Madjidi s’interroge sur sa double culture, car enfant, elle a d’abord rejeté la langue persane de ses parents avant de renouer avec ses origines lorsqu’elle est devenue adulte.
La version audio de ce livre est un plus puisqu’elle est lue par l’auteur elle-même. 
Il y a même en bonus, à la fin du roman, un entretien avec l’auteur toujours très intéressant !
Merci Babelio et Masse Critique pour cette belle découverte !

Extrait : (début du livre)
La pierre
Un homme est assis, seul, dans une cellule.
Il tient dans une main une pierre, dans l’autre une aiguille à coudre.
Il creuse la pierre avec la pointe de l’aiguille.
Il grave un nom.

Chaque jour, il taille, il sculpte ce nom dans la pierre. Ça lui évite de perdre la raison dans sa prison.
Ce nom, c’est Maryam. Elle vient de naître et pour tenter de combler son absence auprès d’elle, il lui fabrique un cadeau qu’il espère lui donner un jour.
Il a trouvé cette pierre dans la cour de la prison et en cachette, il a réussi à dérober une petite aiguille à coudre.
Une manière de dire qu’il pense à elle, à ce bébé qui n’a que quelques jours et la vie devant soi.

Il était une fois le ventre de la mère
Une fille pousse dans le ventre d’une femme.
— Non, tu n’iras pas manifester, t’es une femme et c’est dangereux.

Son frère aîné vient de lui flanquer une grosse gifle. Elle ne dit rien mais elle plante son regard noir de femme obstinée dans ses yeux et elle part lever fièrement le poing dans la rue et mêler sa voix à la voix de la foule en colère. Elle recevra bien des gifles encore et des insultes aussi mais rien ne peut l’arrêter à vingt ans, ni les gifles du frère ni sa grossesse ni même la peur d’être tuée.

1980 – Université de Téhéran

Un nuage de fumée au loin, des coups de feu, des cris.
J’ai peur, je sens le danger et je me recroqueville un peu plus au fond du ventre mais ce ventre va vers la mort, poussé par une force irrépressible.
La jeune mère court dans les couloirs d’une université. Elle manque de tomber: elle a failli glisser sur une flaque de sang dont la trace mène jusqu’à une salle de cours d’où sortent des hurlements déchirants.
Elle s’approche et regarde. À travers la porte entrouverte, elle voit une jeune fille allongée sur une table, un homme tente de la violer. À côté d’elle, par terre, un jeune homme à qui on brise le crâne à coups de bâton. Elle met la main sur sa bouche pour étouffer un cri d’épouvanté.
Elle est affolée et ses jambes tremblent.
Des feuilles volent partout, des feuilles de cours, des fiches d’inscription, des dossiers. Les pages des livres sont déchirées ; des étagères entières sont renversées ; des mains fouillent dans les tiroirs; des bouches hurlent. Les voiles des femmes sont piétinés ; des mains arrachent leurs cheveux. Les femmes sont traînées par terre, elles se débattent comme elles peuvent et les hommes qui les traînent les traitent de sales putes. Ces hommes ont les yeux injectés de sang et brandissent des bâtons plantés de clous. Ils hurlent « Allah Akbar ».
Le bruit d’un crâne qu’on brise.
Elle court toujours mais ne parvient pas à trouver la sortie. Elle voit des jeunes tomber par terre ; elle entend des cris, ses oreilles saignent ; elle voudrait disparaître – devenir aussi petite qu’une fourmi – et se faufiler dans un coin avec son bébé.
Son bébé. Soudain, elle prend conscience qu’elle est enceinte.
Ma mère porte ma vie mais la Mort danse autour d’elle en ricanant, le dos courbé ; ses longs bras squelettiques veulent lui arracher son enfant ; sa bouche édentée s’approche de la jeune femme enceinte pour l’engloutir.
Deux hommes l’ont vue, au bout de leurs bras pendent des bâtons cloutés, ils avancent vers elle. Une fenêtre est ouverte.
Enceinte d’un bébé de sept mois, elle doit sauter du second étage, hésite, se retourne et son regard se fixe sur ces bâtons ; elle sent déjà les clous s’enfoncer dans sa chair.
Elle saute.

Petit bac 2018Objet (7)