Lu en partenariat avec Masse Critique Babelio


Audiolib – octobre 2018 – 4h46 – Lu par l’auteure
J’ai Lu – septembre 2018 – 220 pages
Le nouvel Attila – janvier 2017 – 202 pages
Quatrième de couverture :
Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris. À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes, l’effacement progressif du persan au profit du français, qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement, au point de laisser enterrée de longues années sa langue natale. Dans ce récit qui peut être lu comme une fable autant que comme un journal, Maryam Madjidi raconte avec humour et tendresse les racines comme fardeau, rempart, moyen de socialisation, et même arme de séduction massive.
Auteur : Maryam Madjidi est née en 1980 à Téhéran, et quitte l’Iran à l’âge de 6 ans pour vivre à Paris puis à Drancy. Aujourd’hui, elle enseigne le français à des mineurs étrangers isolés, après l’avoir enseigné à des collégiens et lycéens de banlieue puis des beaux quartiers, des handicapés moteur et psychiques, des étudiants chinois et turcs, et des détenus. Elle a vécu quatre ans à Pékin et deux ans à Istanbul.
Mon avis : (écouté en octobre 2018)
Déjà dans le ventre de sa mère, Maryam, vit en direct les troubles de la Révolution Iranienne… Puis à peine née, elle sert d’alibi à ses parents et à leurs amis communistes, pour transporter les tracts… Jusqu’à six ans, elle grandit dans une belle maison à Téhéran avec tout l’amour de ses parents et de sa grand-mère qui lui offre de nombreuses poupées. Opposants au nouveau régime politique de l’ayatollah Khomeyni, ses parents sont contraints à l’exil. Avant le départ, Maryam va devoir donner ses jouets et ses poupées aux enfants du quartier… Maryam préfère les enterrer dans le jardin pour pouvoir les retrouver à son retour…
A six ans, Maryam découvre une nouvelle vie à Paris, dans un nouveau pays dont elle ne connaît ni la langue, ni les coutumes… Avec ses parents, elle vit dans une chambre de bonne avec les WC sur le palier, la nourriture est différente de celle de l’Iran, sa grand-mère lui manque. Maryam va aller à l’école et apprendre le français.
A travers de souvenirs d’enfance, de contes persans, d’anecdotes et de moments de poésie, nous voilà avec un très beau roman sur l’exil. Maryam Madjidi s’interroge sur sa double culture, car enfant, elle a d’abord rejeté la langue persane de ses parents avant de renouer avec ses origines lorsqu’elle est devenue adulte.
La version audio de ce livre est un plus puisqu’elle est lue par l’auteur elle-même.
Il y a même en bonus, à la fin du roman, un entretien avec l’auteur toujours très intéressant !
Merci Babelio et Masse Critique pour cette belle découverte !
Extrait : (début du livre)
La pierre
Un homme est assis, seul, dans une cellule.
Il tient dans une main une pierre, dans l’autre une aiguille à coudre.
Il creuse la pierre avec la pointe de l’aiguille.
Il grave un nom.
Chaque jour, il taille, il sculpte ce nom dans la pierre. Ça lui évite de perdre la raison dans sa prison.
Ce nom, c’est Maryam. Elle vient de naître et pour tenter de combler son absence auprès d’elle, il lui fabrique un cadeau qu’il espère lui donner un jour.
Il a trouvé cette pierre dans la cour de la prison et en cachette, il a réussi à dérober une petite aiguille à coudre.
Une manière de dire qu’il pense à elle, à ce bébé qui n’a que quelques jours et la vie devant soi.
Il était une fois le ventre de la mère
Une fille pousse dans le ventre d’une femme.
— Non, tu n’iras pas manifester, t’es une femme et c’est dangereux.
Son frère aîné vient de lui flanquer une grosse gifle. Elle ne dit rien mais elle plante son regard noir de femme obstinée dans ses yeux et elle part lever fièrement le poing dans la rue et mêler sa voix à la voix de la foule en colère. Elle recevra bien des gifles encore et des insultes aussi mais rien ne peut l’arrêter à vingt ans, ni les gifles du frère ni sa grossesse ni même la peur d’être tuée.
1980 – Université de Téhéran
Un nuage de fumée au loin, des coups de feu, des cris.
J’ai peur, je sens le danger et je me recroqueville un peu plus au fond du ventre mais ce ventre va vers la mort, poussé par une force irrépressible.
La jeune mère court dans les couloirs d’une université. Elle manque de tomber: elle a failli glisser sur une flaque de sang dont la trace mène jusqu’à une salle de cours d’où sortent des hurlements déchirants.
Elle s’approche et regarde. À travers la porte entrouverte, elle voit une jeune fille allongée sur une table, un homme tente de la violer. À côté d’elle, par terre, un jeune homme à qui on brise le crâne à coups de bâton. Elle met la main sur sa bouche pour étouffer un cri d’épouvanté.
Elle est affolée et ses jambes tremblent.
Des feuilles volent partout, des feuilles de cours, des fiches d’inscription, des dossiers. Les pages des livres sont déchirées ; des étagères entières sont renversées ; des mains fouillent dans les tiroirs; des bouches hurlent. Les voiles des femmes sont piétinés ; des mains arrachent leurs cheveux. Les femmes sont traînées par terre, elles se débattent comme elles peuvent et les hommes qui les traînent les traitent de sales putes. Ces hommes ont les yeux injectés de sang et brandissent des bâtons plantés de clous. Ils hurlent « Allah Akbar ».
Le bruit d’un crâne qu’on brise.
Elle court toujours mais ne parvient pas à trouver la sortie. Elle voit des jeunes tomber par terre ; elle entend des cris, ses oreilles saignent ; elle voudrait disparaître – devenir aussi petite qu’une fourmi – et se faufiler dans un coin avec son bébé.
Son bébé. Soudain, elle prend conscience qu’elle est enceinte.
Ma mère porte ma vie mais la Mort danse autour d’elle en ricanant, le dos courbé ; ses longs bras squelettiques veulent lui arracher son enfant ; sa bouche édentée s’approche de la jeune femme enceinte pour l’engloutir.
Deux hommes l’ont vue, au bout de leurs bras pendent des bâtons cloutés, ils avancent vers elle. Une fenêtre est ouverte.
Enceinte d’un bébé de sept mois, elle doit sauter du second étage, hésite, se retourne et son regard se fixe sur ces bâtons ; elle sent déjà les clous s’enfoncer dans sa chair.
Elle saute.
Objet (7)