Titres Bourgeois – janvier 2023 – 384 pages
Christian Bourgeois – janvier 2021 – 360 pages
traduit de l’anglais (Australie) par Eric Chédaille
Titre original : On Division, 2019
Quatrième de couverture :
Il existe à New York une rue au nom évocateur : Division Avenue. Elle se situe dans une partie spécifique de Brooklyn, le quartier juif orthodoxe. C’est là que vit Surie Eckstein, qui peut s’enorgueillir d’avoir vécu une vie bien remplie : mère de dix enfants, elle passe des jours tranquilles avec sa famille. Alors qu’elle pensait être ménopausée, Surie découvre qu’elle est enceinte. C’est un choc. Une grossesse à son âge, et c’est l’ordre du monde qui semble être bouleversé. Surie décide de taire la nouvelle, quitte à mentir à sa famille et à sa communauté. Ce faisant, Surie doit affronter le souvenir de son fils Lipa, lequel avait – lui aussi – gardé le silence sur une part de sa vie. Un secret peut avoir de multiples répercussions ; il permettra peut-être à Surie de se réconcilier avec certains pans de son passé.
Avec Division Avenue, Goldie Goldbloom trace le portrait empathique, tendre et saisissant d’une femme à un moment charnière de son existence. Et nous livre un roman teinté d’humour où l’émancipation se fait discrète mais pas moins puissante.
Auteure : Goldie Goldbloom est née en Australie. Ancienne enseignante au collège et au lycée et bibliothécaire, elle est auteure de nouvelles et de non-fiction. Des recueils de ses textes sont également parus en Australie et aux États-Unis. Elle a reçu le Jerusalem Post International Fiction Prize pour ses écrits. Elle vit aujourd’hui à Chicago avec ses huit enfants.
Mon avis : (lu en janvier 2023)
Division Avenue est le nom d’une célèbre avenue de Brooklyn bordant Williamsburg, le quartier juif hassidique de New York.
Surie fait partie de cette communauté plutôt fermée. A 57 ans, elle est mère de dix enfants, grand-mère de trente-deux petits-enfants, et bientôt arrière-grand-mère. Et voilà que Surie se découvre enceinte de jumeaux. Elle a honte, elle a peur d’être mis à l’écart de la communauté à cause de son état et va garder secrète sa grossesse vis à vis de ses proches… Elle n’ose pas l’annoncer à son mari, Yidel pourtant très aimant et attentif à sa femme. Comme sa grossesse est à risques et nécessite un suivi médical, Surie se rend à l’hôpital tous les vendredis pour voir Val, la sage-femme. Les premières visites, Surie est mal à l’aise, puis elle va peu à peu trouver ses repères et deviendra bientôt l’interprète des femmes qui ne s’expriment qu’en yiddish.
Surie est bouleversée par cette grossesse tardive, ne sait pas quoi faire, elle n’arrive à en parler qu’avec Val. Et grâce à ses activités de bénévole à l’hôpital Surie découvre un autre monde que le sien et de nouvelles perspectives s’offrent à elle…
Avec son secret, elle se sent proche de son fils Lipa, décédé 4 ans plus tôt, après avoir été mis au ban de la communauté et cela avait également terni la réputation de la famille.
J’ai découvert le quotidien de ces juifs orthodoxes, aux règles très stricts, parfois d’un autre temps… Le portrait de Surie est tendre, tout en délicatesse et son évolution au fil des mois est touchante. Elle découvre que son empathie et sa générosité peuvent faire des merveilles au-delà de son cercle familial.
L’auteure est elle-même juive-orthodoxe. Elle emploie beaucoup de termes en hébreu, expliqués dans un glossaire en fin d’ouvrage.
Merci à Masse Critique pour cette belle découverte.
Extrait : (début du livre)
La sage-femme dit à la femme hassidique : « Vous arriverez à terme le 13 juillet. N’est-ce pas une perspective réjouissante ? »
Surie marqua un temps d’hésitation.
« Non, dit-elle. J’avais espéré avoir enfin un peu de temps pour moi.
— Est-ce que vous n’avez pas déjà des petits-enfants ? Vous devez être très prise de toute façon. Qu’est-ce qu’un enfant de plus dans une famille comme la vôtre ? »
Surie se borna à répondre avec douceur qu’un enfant est un monde en soi.
Après la consultation, assise à l’arrêt de bus du bikkour holim (1), Surie contemplait, tout en prenant sur elle pour ne pas pleurer, le flot des gens qui entraient à l’hôpital de Manhattan ou en ressortaient. On était vendredi en fin d’après-midi, le lendemain du désastreux mariage de sa fille. Professionnels en blouse blanche, coquettes secrétaires nanties de leurs dossiers, mères en leggings et haut transparent, queue-de-cheval leur balayant le dos, tout ce monde se hâtait vers son week-end. Il y avait même, debout sur le trottoir d’en face, un jeune homme hassidique qui regardait dans sa direction et ressemblait à s’y méprendre à Lipa, son fils. Où aller pour s’isoler ? L’hôpital se dressait derrière lui, tour de verre et d’acier qui, même à distance, sentait le germicide.
« Vous êtes à l’écoute de All Things Considered (2). » Un taxi s’arrêta tout près, lui masquant le jeune homme et beuglant le programme d’une station de radio. Jamais elle n’écoutait la radio. Les présentateurs s’exprimaient en anglais et bien trop vite pour qu’elle pût suivre ce qu’ils disaient. Cependant, pour une raison qu’elle ignorait, Yidel, son mari, conservait au sous-sol un poste des années 1950 qu’il ouvrait de temps en temps pour en bricoler les lampes.
Yidel raffolait des jeux de mots et des devinettes, de ces plaisanteries éculées sur l’emballage des bonbons dont les enfants se régalaient. Il se plaisait à chanter sous la douche, le soir avant d’aller se coucher, alors que les hassidim s’efforcent de ne pas faire de bruit dans la salle de bains. Il s’agissait d’une transgression, mais vénielle. Il aimait beaucoup allumer un feu dans la cour et y jeter des branches de bois mort. Il aimait prendre la situation en main, trouver des solutions, faire la chose adéquate. Cela pouvait être un tantinet agaçant, mais ce n’était pas, dans l’ensemble, la pire chose au monde. Il aimait se retrouver assis sur le lit avec tous les siens rassemblés autour de lui et leur raconter des histoires dans la demi-obscurité. Il avait aimé ses fils. Tous, sans exception. Bien qu’elle fût une femme fatiguée de cinquante-sept ans, il n’avait pas non plus cessé de l’aimer d’amour. Seulement, continuerait-il lorsqu’il saurait la nouvelle ? Ou bien quelque chose se refermerait-il en lui comme une tapette à souris ?
(1) bikkour holim : visite aux malades
(2) Émission d’information de la radio publique NPR
(1) Paysage