Les vallées closes – Mickaël Brun-Arnaud

71oidTa9nfL Robert Laffont – janvier 2023 – 288 pages

Quatrième de couverture :
 » Comment ce monde incolore avait-il eu la cruauté, l’impertinence, la folie, de faire naître en son sein un garçon en couleurs ?  » Qui peut dire ce qu’il s’est vraiment passé cette nuit où Paul-Marie, employé de mairie bien sous tous rapports, a recueilli chez lui Enzo, jeune adulte atteint de déficience intellectuelle ?
Dans ce village reculé de Provence où les préjugés sont rois et où l’on condamne toute forme de différence, la vérité importe peu. Et Paul-Marie est contraint de se cacher dans le grenier de Claude, sa mère, pour échapper à la vindicte populaire.

Auteur : Mickaël Brun-Arnaud est le fondateur de la librairie parisienne Le Renard Doré – librairie de référence pour le manga et la culture japonaise. Paru en mars 2022 à l’École des loisirs, son premier roman jeunesse, Mémoires de la forêt, s’est vendu à près de 10 000 exemplaires en l’espace de quelques mois. Les Vallées closes est son premier roman de littérature générale.

Mon avis : (lu en mars 2023)
J’ai emprunté ce livre à la Bibliothèque, attirée par sa couverture lumineuse… Comme un coucher soleil.

L’ambiance dans  ce roman est celle des campagnes, d’une petit village provençal où tout le monde se connaît, et où les ragots vont bon train.
Le lecteur découvre cette histoire à travers 3 points de vues, ceux de Claude, Enzo et Paul-Marie, avec des aller-retour dans le temps : décembre 2016, avril 2016, mai 2016 avec un retour dans l’enfance de Paul-Marie en 1979.
Claude a 70 ans, elle a son franc parlé. Elle n’a pas eu une vie facile et elle est prête à tout pour protéger son fils. Depuis plusieurs mois, suite à une accusation contre son fils Paul-Marie, Claude subit l’hostilité du village.
Enzo, 20 ans, déficient mental est surprotégé par sa mère Geneviève. Il souhaiterai avoir plus d’autonomie et une vie amoureuse. Il travaille dans un centre se consacrant à l’élevage de chèvres et à la production artisanale de fromages, hanté par l’univers des Pokémon.
Paul-Marie 44 ans, est le fils de Claude. Enfant, il a toujours été craintif et sensible. Incompris par un père plutôt « beauf », heureusement il y avait Danny, son grand frère, pour le protéger.
Que s’est-il passé entre Paul-Marie, fonctionnaire quadragénaire, bien sous tous rapports et Enzo, son stagiaire, jeune adulte handicapé mental ?

Extrait : (début du livre)
L’eau qui ruisselait du toit donnait à Claude, avachie sur son vélo, l’impression que la maison avait du chagrin. Les métaphores, pour elle qui n’en utilisait presque jamais, n’étaient que des mots gorgés d’une pluie dans laquelle on infusait ses sentiments : du pisse-mémé inutile, pestait-elle en massant vigoureusement sa hanche avant de reprendre la route, comme pour en racler l’arthrose. Cette pluie-là, métaphore ou non, elle tombait sans relâche sur les champs misérables depuis la mi-novembre ; et si les nuages se voulaient pour certains des bénitiers célestes, pour Claude rien ne laverait jamais ses terres natales des péchés qui y grouillaient. Engourdie, la septuagénaire soupira en regardant sa vieille ferme étriquée à trois étages. Après ses courses, elle allait encore devoir en gravir les marches, sans rambarde ni ascenseur – et sans la moindre volonté que ça change.
Comme Claude, la maison avait vécu. Les murs de la baraque étaient constellés de cloques prêtes à éclater si on les perçait du doigt ; une peau gorgée des furoncles du temps, boursouflée de cris, abcès de frustrations et de colères passées. Claude avait si souvent surpris Marius, la peinture sous les ongles, arrachant le crépi qui s’émiettait comme la croûte du pain de la veille. « T’sais bien, Claudette, j’ai jamais aimé ce qui dépasse », grognait-il sans arrêt, ses doigts sales dans la bouche, les incisives tachées du sang de ses cuticules et de la crasse de ses chantiers.
Et il a mis un point d’honneur à le prouver tout au long de sa vie, ce con, songea Claude en saisissant le guidon de son vélo rouillé pour rejoindre le centre-ville.
Le pied sur la pédale, elle eut un dernier regard ennuyé pour les combles humides de la bâtisse où machinalement, même après la mort de Marius, elle continuait de cacher tout ce qui dépassait ; à l’endroit exact où jadis, parce qu’il se voyait trop sous sa poitrine, elle avait remisé son cœur.

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Le voyage de Monsieur Raminet – Daniel Rocher

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Les Éditions du Net – février 2014 – 244 pages

Motifs – juin 2011 – 240 pages

Quatrième de couverture :
Après une existence bien réglée et plutôt solitaire, Félix Raminet, professeur de Droit, tout juste retraité, vient d’obtenir brillamment son permis de conduire. Follement épris de liberté, il saute dans sa voiture neuve et quitte Paris pour Saint-Malo. Le Destin l’attend sur une aire d’autoroute : Jane, une jeune Américaine, généreuse, libre de corps et d’esprit, va changer irrémédiablement le cours de sa vie.

Auteur : Daniel Rocher, avocat parisien, nous offre depuis plusieurs années des œuvres très différentes : romans ou nouvelles, comiques, graves ou mélancoliques. Le voyage de Monsieur Raminet campe un personnage dont le sérieux imperturbable, au milieu de ses rencontres cocasses, nous renvoie une image de notre monde pleine de sagacité, de tendresse et d’éternelles illusions.

Mon avis : (lu en avril 2022)
Ce roman raconte le voyage d’un retraité nommé Monsieur Raminet qui décide de partir à la recherche de ses souvenirs d’enfance dans la ville où il a grandi. Le lecteur découvre avec curiosité les aventures de Félix Raminet partie pour la Bretagne dans sa toute nouvelle voiture. C’est un personnage atypique, un héros ordinaire très attachant, sa vie a toujours été plutôt plan-plan, il a un langage précieux ou empoulé. Ce voyage va devenir inattendu et plein de surprises lorsqu’il accepte de prendre Jane, une jeune Américaine, en auto-stop… Celle-ci est à l’opposée de Félix Raminet, jeune, jolie et blonde, au comportement libéré et avec du franc-parler. Jane parcourt le monde et prépare une thèse avec comme sujet d’étude la timidité masculine ! Au fil de leur voyage, ils vont faire d’improbables rencontres et Monsieur Raminet va s’ouvrir aux autres et à découvrir le sens de l’amitié et de la solidarité.

Extrait :

https://books.google.fr/books?id=x_9TEAAAQBAJ&lpg=PA2&hl=fr&pg=PA2&output=embed

Ce pays qu’on appelle vivre – Ariane Bois

615X8H+K72L Plon – janvier 2023 – 281 pages

Quatrième de couverture :
Jeune caricaturiste de presse juif allemand, Leonard Stein est réfugié sur la Côte d’Azur, lorsque la guerre le rattrape à l’été 40. Arrêté par les gendarmes français, il est envoyé aux Milles, près d’Aix en Provence. Cette ancienne usine de tuiles peuplée d’un millier d’étrangers « indésirables » transformée en un effroyable camp d’internement est aussi paradoxalement un centre de culture et de création, rassemblant intellectuels et artistes de Max Ernst à Hans Bellmer.
En cherchant à s’échapper des Milles par tous les moyens, Leo fait la rencontre de Margot Keller, volontaire d’un réseau de sauvetage marseillais, dont il tombe éperdument amoureux. Alors que leurs efforts conjugués présagent la liberté, l’été 42 s’annonce, meurtrier et cruel. Le jeune couple décide de tenter l’impossible : sauver les enfants juifs de la déportation et rejoindre la résistance…
Dans la lignée du Gardien de nos frères, prix Wizo 2016, Ariane Bois signe un grand roman d’amour et de résistance et dresse le portrait de deux héros au courage prodigieux, pris dans l’enfer du plus grand camp d’internement et de déportation français de la zone sud, encore intact aujourd’hui et longtemps méconnu.

Auteure : Ariane Bois est romancière, grand reporter et critique littéraire. Elle est notamment l’auteure, récompensée par de nombreux prix littéraires, du Gardien de nos frères (2015), Dakota Song (2017), L’Île aux enfants (2019), finaliste du prix Maison de la presse, et L’Amour au temps des éléphants (2021), Éteindre le soleil (2022).

Mon avis : (lu en janvier 2023)
Ce roman a pour cadre historique le camp d’internement et de déportations des Milles situé à proximité d’Aix-en-Provence, il met en scène des personnages de fictions et des personnages réels.
Leonard Stein est un jeune caricaturiste de presse,  juif allemand, il a dû quitter sa famille et son pays après avoir été interné à Dachau. Il a pu se réfugier sur la Côte d’Azur. Mais la Guerre va le rattraper et comme beaucoup d’étrangers réfugiés dans le sud de la France, il est envoyé au camp des Milles. Là-bas, il ne sait pas ce qu’il va se passer pour eux tous. Il cherche donc tous les moyens possible pour sortir. Il va alors rencontrer Margot Keller, une jeune juive française qui vit à Marseille et qui aide les réfugiés. Elle sera pour lui l’espoir de la liberté. Depuis l’extérieur du camp, elle tente de l’aider à d’obtenir un visa pour un pays étranger accueillant. C’est à la fois une course contre la montre et un parcours du combattant… Dans le camp, Leo rencontrera Max Ernst et Franz Hessel parmi les intellectuels et des artistes qui ont fui le nazisme.
Dans ce roman historique pour se souvenir du camp français des Milles, il est question de l’horreur de la guerre mais surtout de solidarité, de courage, d’engagement, de liberté, d’art et de culture. L’usine de tuiles des Milles verra passer 10 000 étrangers, en majorité juifs. Après les avoir accueilli sur le sol français, l’État français n’hésitera pas à les trahir en les livrant aux Allemands avant même que la zone libre soit abolie…  Il y aura heureusement des hommes et des femmes courageux, des Justes, qui feront tout ce qu’ils pourrons pour sauver le maximum d’internés et notamment des enfants en les exfiltrant du camp. Ce roman leurs rend hommage.

Merci Babelio et les éditions Plon pour m’avoir permis de découvrir le nouveau livre d’Ariane Bois avant une rencontre prévue mercredi 18 janvier à laquelle je n’ai malheureusement pas pu assister en raison de la grève du lendemain…

Pour en savoir plus : Site-Mémorial du Camp des Milles

Extrait : (début du livre)
Il reconnaît l’air, toujours le même.
Un refrain patriotique entonné par des centaines de jeunes poitrines masculines, des garçons au garde-à-vous martelant les paroles d’un air martial. Puis arrivent les ordres lancés par la masse d’hommes galvanisés, nettoyez la terre allemande, honte aux ennemis du peuple, ou encore pas de place pour les auteurs dégénérés. Ensuite, dans la foule qui s’ouvre, dansent les drapeaux agités frénétiquement. La manifestation est passée par la porte de Brandebourg, puis a défilé avenue Unter den Linden avant de se grouper là, place de l’Opéra. La cérémonie peut commencer, sous une pluie battante. Les étudiants et les Jeunesses hitlériennes sont pressés d’en découdre, de se battre, même si leurs ennemis pour l’instant sont composés d’encre et de papier, et non de chair et d’os.
Aujourd’hui, à Berlin, comme dans vingt et une villes de la nouvelle Allemagne, on brûle des œuvres jugées antiallemandes. Un bûcher identique à ceux de l’Inquisition, pense le jeune homme, et cela dans son propre pays !
Contre la lutte des classes et le matérialisme, pour la communauté nationale. Je jette dans les flammes les écrits de Marx, récite un officiant.
Et juste après, l’odeur des pages qui s’embrasent, la couverture de l’ouvrage se tordant et, à la lueur des torches, les rictus virils des étudiants qui, un à un, s’avancent et précipitent avec solennité les textes de Freud, de Heine, de Mann, de Kautsky dans le feu.
Tous ces livres que son père, Jakob Stein, aime à la passion et dont il peut réciter des paragraphes ou des pages entiers. Il les vendait, ces auteurs favoris.
Avant, quand l’Allemagne n’avait pas été capturée par un fou qui entendait purger le pays de ses éléments indésirables, et établir un ordre nouveau, celui de la république nationale-socialiste. Lorsque le brasier atteint son paroxysme et que les cris deviennent
clameur, Leo entend des sales Juifs et des dehors hurlés à son endroit. Ils l’ont repéré, se lancent à sa poursuite. Alors, dans ce Berlin qu’il connaît mal, le jeune homme se met à courir, à courir, à perdre le souffle.

Déjà lu du même auteur : 

Petit bac 2023(2) Lieu

La nuit des pères – Gaëlle Josse

61ihYKxvGbL Les Éditions Noir Sur Blanc – août 2022 – 192 pages

Quatrième de couverture :
« Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m’as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m’as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j’ai voulu faire mentir ta malédiction. »
Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l’oubli.
Après de longues années d’absence, elle appréhende ce retour. C’est l’ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer.
Entre eux trois, pendant quelques jours, l’histoire familiale va se nouer et se dénouer.
Sur eux, comme le vol des aigles au-dessus des sommets que ce père aimait par-dessus tout, plane l’ombre de la grande Histoire, du poison qu’elle infuse dans le sang par-delà les générations murées dans le silence.
Les voix de cette famille meurtrie se succèdent pour dire l’ambivalence des sentiments filiaux et les violences invisibles, ces déchirures qui poursuivent un homme jusqu’à son crépuscule.
Avec ce texte à vif, Gaëlle Josse nous livre un roman d’une rare intensité, qui interroge nos choix, nos fragilités, et le cours de nos vies.

Auteure : Venue a l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman, Les heures silencieuses, en 2011, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et de Noces de neige en 2013. Ces trois titres ont remporté plusieurs récompenses, dont le prix Alain-Fournier et le prix national de l’Audio lecture en 2013 pour Nos vies désaccordées. Le dernier gardien d’Ellis Island a été un grand succès et a obtenu, entre autres récompenses, le prix de Littérature de l’Union européenne. Une longue impatience a reçu le Prix du public du Salon de Genève, le prix Simenon et le prix Exbrayat. Une femme en contre-jour a remporté le prix Terres de Paroles 2020 et le prix Place ronde du livre photographique. Ce matin-là, paru en 2021, a également rencontré une très large audience. Elle signe son retour à la poésie avec son recueil Et recoudre le soleil, paru en 2022. La nuit des pères, son nouveau roman, est paru fin août 2022. La plupart de ses romans sont traduits dans de nombreuses langues et étudiés dans les lycées. Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille a Paris et vit entre Paris et la région parisienne. Elle est chevalier des Arts et Lettres et Chevalier de la Légion d’Honneur.

Mon avis : (lu en décembre 2022)
Après plus de vingt ans d’absence et à l’appel de son frère Olivier, Isabelle retourne dans la maison familiale où vit toujours son père. Ce dernier, ancien guide de montagne, a bien vieilli et c’est surtout sa mémoire qui devient défaillante.
Dix ans plus tôt, après la mort de leur mère, Olivier est revenu au village pour se rapprocher
Ce retour est l’occasion pour Isabelle d’affronter ses souvenirs et ce père dont la relation a toujours été difficile. Il était souvent absent, parti pour des courses en montagne, muré dans le silence ou alors il piquait des colères incompréhensibles pour l’enfant qu’Isabelle était. Devenue adulte, il est temps pour Isabelle de comprendre le comportement de ce père dont elle attendait tant…
Une histoire de famille bouleversante, parfaitement servie par une écriture poétique, précise, humaine, sensible.
Un très beau roman qui se lit presque d’une traite tellement le lecteur est emporté par les mots et les sentiments.

Extrait : (début du livre)
À l’ombre de ta colère, mon père, je suis née, j’ai vécu et j’ai fui.

Aujourd’hui, me voici de retour. J’arrive et je suis nue. Seule et les mains vides.
Il y a longtemps que je ne suis pas venue. Une éternité. C’est ce qu’on dit lorsqu’on ne sait plus. Répondre avec précision m’obligerait à ouvrir des agendas et des calendriers, à sonder ma mémoire, à laisser surgir trop d’images et me faire bousculer par leur incontrôlable irruption.
Je résiste de toutes mes forces à ce travail d’excavation, à la tentation de feuilleter d’imaginaires éphémérides pour une information qui au fond m’importe peu. Disons de nombreuses années, des Noëls et des étés pour lesquels j’ai dit peut-être, j’ai dit on va voir, et je ne suis pas venue.
Pour l’heure, tu vois, collée à la porte de ce wagon de TGV, j’attends que la décélération prenne fin, que le wagon s’immobilise et que je puisse enfin sortir.
De l’air, je veux de l’air. J’ai l’impression d’avoir passé mille ans dans ce train, chemise collée à ma peau comme un buvard, gorge brûlante et mains gonflées. Ce n’est pas que je sois pressée de te retrouver ni de retrouver tout ce qui m’attend, mais comme toi, j’aime être libre de mes mouvements. Nous avons cela en commun, à défaut d’autre chose, cette envie de liberté, brutale et non négociable. Là, tout de suite, je veux marcher, avancer, ne plus piétiner sur les talons des voyageurs encombrés, agglutinés dans cet espace malcommode, devant les portes, en équilibre instable dans les oscillations de la rame.

J’arrive et déjà le souvenir de ta voix cogne dans ma tête. Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m’as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m’as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j’ai voulu faire mentir ta malédiction.

Alors, non, je ne suis pas pressée. Olivier sera là, dans le hall, à l’heure et même en avance, avec sa voiture garée comme il faut, où il faut. Égal à lui-même. Au téléphone, il ne m’a pas beaucoup laissé le choix. Ça serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu’on parle de papa. Et puis, ça lui fera plaisir.
Voilà ce qu’il m’a dit.

Il avait hésité sur les derniers mots.

Petit bac 2023(1) Moment de la journée

 

Déjà lu du même auteure :

Nos_vies_d_saccord_es Nos vies désaccordées

71+Yjs+mwGL Une femme en contre-jour

L’Archiviste – Alexandra Koszelyk

71pth5YXMHL Aux forges de Vulcain – octobre 2022 – 272 pages

Quatrième de couverture :
K est archiviste dans une ville détruite par la guerre, en Ukraine. Le jour, elle veille sur sa mère mourante. La nuit, elle veille sur des œuvres d’art. Lors de l’évacuation, elles ont été entassées dans la bibliothèque dont elle a la charge. Un soir, elle reçoit la visite d’un des envahisseurs, qui lui demande d’aider les vainqueurs à détruire ce qu’il reste de son pays : ses tableaux, ses poèmes et ses chansons. Il lui demande de falsifier les œuvres sur lesquelles elle doit veiller. En échange, sa famille aura la vie sauve. Commence alors un jeu de dupes entre le bourreau et sa victime, dont l’enjeu est l’espoir, espoir d’un peuple à survivre toujours, malgré la barbarie.

Auteure : Alexandra Koszelyk est née en 1976. Elle enseigne, en collège, le français, le latin et le grec ancien.

Mon avis : (lu en novembre 2022)
Dans ce roman, Alexandra Koszelyk nous entraîne en Ukraine, c’est la guerre et son héroïne K. est archiviste dans une ville en ruine. Dans les sous-sols de la bibliothèque qu’elle dirige, elle tente de protéger les trésors littéraires et artistiques nationaux. Elle veille également sur sa mère mourante qui perd un peu la tête.
Un soir, K reçoit la visite d’un personnage inquiétant, « l’Homme au chapeau ». Celui-ci représente l’envahisseur, qui n’est jamais nommé, il lui demande de falsifier différentes œuvres pour réécrire l’Histoire et effacer la culture ukrainienne de celle-ci… Une demande impossible à exécuter pour K. mais si elle ne le fait pas, Mila, sa sœur jumelle, est menacée de mort.
En premier lieu, K. doit modifier quelques mots sur le manuscrit de l’hymne national ukrainien. Avant de s’exécuter, K. reçoit la visite d’ombres du passé et/ou se retrouve dans le passé, elle va tenter d’obéir à l’ennemi tout en laissant subtilement un message, témoignage de la falsification…
Cette intrigue permet au lecteur de découvrir aux côtés de K. la culture ukrainienne à travers des artistes comme Tchoubynsky, Chevtchenko, Alla Horska ou Primatchenko, Gogol, Sonia Delaunay et des événements marquants de l’histoire ukrainienne comme Holodomor, Tchernobyl ou Maïdan.

Et nous comprenons d’autant mieux, la volonté du peuple Ukrainien de résister à l’envahisseur, la fierté pour son identité et pour son indépendance culturelle.
Une très belle histoire, une héroïne terriblement attachante et une découverte passionnante d’un petit peu de l’Histoire et de la culture ukrainienne.

Extrait : (début du livre)
La nuit était tombée sur l’Ukraine.
Comme à son habitude, K était assise au bord du lit, attendant que sa mère s’endorme. La jeune femme était revenue vivre dans l’appartement de son enfance, après la crise qui avait laissé sa mère infirme. Une fois que les traits de celle-ci se détendirent, que sa respiration devint paisible, qu’elle retrouva sur son visage cette lucidité que l’éveil lui ôtait, K sortit de la chambre et referma la porte avec douceur. Dans la cuisine, elle prépara un café et, pendant que l’eau chauffait, alluma une cigarette, appuyée contre la fenêtre. Son regard se perdit dans la ville où les réverbères diffusaient une lumière douceâtre.
Des images de l’invasion lui revinrent.
La sidération le jour même, la bascule d’un temps vers un autre, ouvert à d’effrayantes incertitudes, cette faculté déjà de percevoir qu’un point sans retour venait d’être franchi… Comment aurait-elle pu se dire qu’un passé, dont chacun possédait encore le souvenir, allait redevenir l’exacte réalité ? N’apprend-on donc rien des leçons de la guerre ?
Les premiers bombardements, les premiers tirs, les incendies, les murs des immeubles qui tombaient par morceaux, éclatant au sol comme des fruits trop mûrs à la fin de l’été, des fruits lourds de tout ce que l’être humain n’arrive pas à comprendre. Partout disséminés, des objets du quotidien qui ne retrouveraient jamais leur usage et qui dans la rue devenaient absurdes, piétinés par la foule qui courait se mettre à l’abri aux premières sirènes. Combien de visages pétrifiés, ahuris à jamais par ce monde plein de douleurs, combien de corps fallait-il jeter à la hâte au creux des fosses pour éviter les maladies et la prolifération des vermines, combien d’enfants aux yeux emplis de visions d’horreur qui ne s’endormaient qu’au matin, épuisés par un combat nocturne contre une fatigue au goût de mort ?
Et ces autres, là-bas, dans ces pays hors d’atteinte où le quotidien n’avait pas été saccagé : combien de temps fallait-il pour que nos voix leur parviennent ? Jusqu’où l’écho d’un appel aux armes devait-il aller ? Quel degré d’horreur devait-on atteindre pour qu’ils réagissent ?
Les jours passaient et personne ne venait, les gens restaient incrédules.
Au hasard des rues, K aperçut ce duo de soldats, le fusil en bandoulière. Ils avaient visiblement pour mission de décrocher des panneaux. Les suites de la guerre passaient aussi par ces corrections apparemment anodines : faire passer toute la signalétique dans la langue de l’envahisseur, bannir celle du pays. L’invasion n’était pas terminée qu’elle préparait déjà le temps d’après : vieille méthode romaine de débaptiser les lieux.

Déjà lu de la même auteure :

715TlZ+GONL A crier dans les ruines

L’immeuble de la rue Cavendish, tome 1 : Les manigances de Margaux – Caroline Kant

615q52udbeL Les Escales – avril 2022 – 297 pages

Quatrième de couverture :
Que se passe-t-il au 5e étage de l’immeuble de la rue Cavendish ? Margaux, la nouvelle voisine, est à peine installée qu’elle se retrouve à enquêter sur le couple qui vit au-dessus d’elle. Et tant pis si tout le monde pense qu’elle devient complètement folle !
Après une douloureuse rupture, Margaux, la vingtaine, s’installe dans l’appartement que lui prête son oncle, rue Cavendish. Proche des Buttes-Chaumont, l’immeuble ne manque pas d’animation : entre la concierge désagréable qui exige qu’on l’appelle Mme Nathalie, le vieux fou du 2e et l’insupportable gamine du 4e, Margaux trouve à peine le temps de se vautrer devant ses films d’horreur préférés !
Heureusement, elle peut compter sur ses autres voisins : Victoire, Charlotte et Markus répondent toujours présents pour débriefer autour d’un verre. Surtout quand Margaux rencontre le beau gosse de l’immeuble en face ! Mais tout se complique quand des bruits inquiétants s’échappent de l’appartement au-dessus : Margaux décide alors de mener l’enquête, au risque de se mettre elle-même en danger…

Auteure : Caroline Kant a longtemps vécu à Paris, rue Cavendish. Aujourd’hui, elle a quitté la ville, et partage son temps entre l’écriture et divers métiers.

Mon avis : (lu en novembre 2022)
Lorsque j’ai emprunté ce livre à la bibliothèque, je ne m’attendais pas à découvrir le portrait d’un immeuble parisien… Je pensais voyager à Londres ou aux États-Unis, le nom Cavendish m’ayant induit en erreur…
Après une rupture, Margaux vient d’emménager au quatrième étage d’un immeuble rue Cavendish, proche des Buttes Chaumont. Elle va faire la connaissance de tous ses voisins et en premier lieu de la concierge, Madame Nathalie et son horrible petit chien Elvis. Sur le palier d’en face de chez Margaux, vivent Charlotte, Alexandre et leurs deux enfants Lou et Gabriel, la petite Lou est assez curieuse et envahissante. Alphonse, un vieil homme qui perd totalement la tête et dont s’occupent à tour de rôle des gardes-malade habite au deuxième étage.  Ces vrais amis de l’immeuble sont au 2ème, Victoire, une belle et jeune musicienne très extravertie et au 5ème, Markus et Jérôme qui toujours prêts à lui venir en aide.
Enfin, il y a ses voisins de l’étage du dessus, le couple Marchand. La nuit, Margaux a plusieurs fois été réveillée par des bruits anormales à l’étage. Elle soupçonne donc Marc d’être violent contre sa femme Perla… 
Une lecture facile, sympathique et pleine d’humour sur la vie animée d’un immeuble parisien avec des personnages attachants ou parfois détestables…
Ce livre est le premier d’une série de six tomes !

Extrait : (début du livre)
La femme qui glisse sa tête par la porte entrebâillée de la loge retient par le collier un petit chien prêt à me sauter à la gorge. Pendant qu’il se débat en aboyant comme un fou, elle me scrute de haut en bas.
C’est pour quoi ?
Madame Ménard ? Enchantée, je suis Margaux Klein, la nouvelle locataire du quatrième. J’emménage dimanche.
Interdiction d’utiliser l’ascenseur.
L’ascenseur de l’immeuble, minuscule et poussiéreux, est si étroit que je serais bien incapable d’y faire entrer le moindre meuble.
Oh ! Elvis, tu vas te calmer ? s’énerve la gardienne en secouant la laisse de son roquet. Alors vous êtes la locataire de M. Fisher ?
Oui, je suis sa nièce.
Son visage se renfrogne un peu plus. Aurélien ne fait visiblement pas partie de ses propriétaires favoris. Elle ouvre grand sa porte et c’est à mon tour de la détailler. Cheveux blonds décolorés coiffés en un chignon bouffant, clips ronds et dorés aux oreilles, foulard – imitation ? – Hermès, la gardienne porte un chemisier blanc immaculé au col relevé, une jupe droite bleu marine, des collants noirs épais et des mocassins. On est dans le 19e arrondissement de Paris, ici, pas dans le 16e.
La rue Cavendish se trouve certes dans la partie chic du quartier, à côté de la mairie, et elle débouche sur le parc des ButtesChaumont ; mais ici, les habitants ont plutôt le look bobo que grand bourgeois. Ces dernières années, artistes, journalistes, cadres, enseignants, intermittents ont repeuplé le quartier, se mêlant peu à peu aux habitants traditionnels : personnes âgées modestes, familles nombreuses juives, immigrés du monde entier.
L’immeuble est tout près du parc. Il est en pierre de taille, mais comme tous ceux de l’arrondissement, il a été construit sur des carrières. Il a tendance à bouger, à se fissurer, à s’affaisser…
Mon oncle Aurélien m’a proposé de loger dans un appartement qui lui appartient. Il est veuf et n’a pas d’enfants. Il est comme un père pour moi, et aussi pour mon frère Romain. C’est lui qui s’est occupé de nous quand nos parents sont partis vivre aux ÉtatsUnis, surtout de moi qui n’avais que seize ans. Aujourd’hui, j’en ai vingthuit, et il vient encore une fois de voler à mon secours. Il s’est contenté de poser ses conditions : j’entretiens les lieux, je paie les charges et je retrouve ma joie de vivre. Mon oncle est comme ça : il est très généreux et il aime lancer des défis. Peutêtre à cause de sa propre histoire.

La pluie attendra – Carole Duplessy-Rousée

MasseCritiquesept2022

71FFx0w60WL Éditions du 123 – février 2022 – 362 pages

Quatrième de couverture :
Sur la côte bretonne, deux familles frappées par une malédiction : malheur à celui qui se rapprochera du clan ennemi. Alors qu’un drame vient de toucher les deux patriarches, Florence, l’une des filles de la lignée Auray, fait son retour aux Pierres-Noires pour enquêter. Entre secrets familiaux et légendes celtiques, elle fera la lumière sur un passé trouble…
Florence Auray vit au Conquet et mène une existence simple et heureuse, partageant son temps entre ses activités de pigiste pour les journaux locaux et la photographie, une passion nourrie par les somptueux paysages côtiers de l’Iroise et l’île d’Ouessant où elle aime aller se ressourcer.
À quelques kilomètres dans les terres, ses deux sœurs travaillent à la ferme familiale et supportent la lourde charge d’un père handicapé, veuf, et d’une grand-mère vieillissante. Florence vient parfois leur prêter main forte, pas assez, cependant, au goût de Margot, sa sœur aînée. Une dispute éclate entre elles quand Florence évoque le flirt caché de Sissi, la cadette, avec Arnaud Kerhuel, leur plus proche voisin. La grand-mère Sidonie s’en mêle. Jamais une Auray n’épousera un Kerhuel ! L’accident qui a tué Louis, le père d’Arnaud, et cloué Charles Auray dans un fauteuil n’a-t-il pas servi de leçon ? Faut-il que la malédiction frappe encore les deux familles ? Une malédiction… Laquelle ? Intriguée, Florence fouille, interroge, se heurtant au silence de son entourage et aux menaces de Célestin, l’aîné des enfants Kerhuel. Mais, qu’importe le prix à payer, elle est prête à tout pour connaître la vérité…

Auteure : Géographe de formation, Carole Duplessy est professeur de lycée à Rouen. Présidente de la Société des auteurs de Normandie et du jury du Prix des romancières, elle a publié une quinzaine de romans, comédies féminines et sagas grand public. Au fil des années, elle a réussi à fidéliser toujours plus de lecteurs et connaît un succès croissant. Livre après livre, elle explore des univers différents avec beaucoup de justesse, donnant vie à des personnages qui nous emportent dans le tourbillon de la vie.

Mon avis : (lu en octobre 2022)
C’est l’histoire de deux familles voisines, les Auray et les Kerhuel. Les anciens de la famille racontent qu’une malédiction existe entre les deux familles… Comme suite à la terrible tempête qui a tué Louis Kerhuel et qui a rendu Charles Auray mutique dans un fauteuil roulant…
Après ce drame, Florence, l’une des filles de la famille Auray, revient plus souvent aux Pierres-Noires et veut comprendre ses histoires de querelles et de malédiction, auxquelles elle ne croit pas. Elle décide de s’intéresser au passé, en particulier à l’époque où sa mère a rencontré son père. Celle-ci est décédée en mettant au monde sa jeune sœur Sissi, Florence n’avait alors que six ans et Margot, l’aînée, 10 ans.
J’ai choisi de recevoir ce livre essentiellement parce que l’intrigue se passait en Bretagne, sur le côte du Finistère. Et je n’ai pas été déçue par les nombreuses descriptions des splendides paysages côtiers du Finistère et de l’île d’Ouessant que Florence arpente et photographie souvent pour son plaisir ou pour son travail de pigiste pour les journaux locaux. Le personnage de Florence est très attachant, elle est déterminée avec du caractère, elle ne lâchera rien avant de connaître la vérité.

Merci Babelio et les éditions du 123 pour ce roman palpitant, avec de nombreux rebondissements parfois inattendus autour des secrets de famille. 

Extrait : (début du livre)
Florence Auray contemplait ses pieds, se demandant pourquoi elle était là. « Parce que c’est ton devoir ! murmura une petite voix dans sa tête. Parce que tu connais cet homme depuis toujours et que tu veux partager le chagrin de sa famille. Parce que sa mort est indissociable des souffrances endurées par ton propre père. Elles sont issues du même drame. Un drame qui a changé ta vie pour toujours… »
Dans la chambre aux volets fermés et éclairée par quelques bougies, l’atmosphère était pesante. Florence releva la tête et appuya son dos au mur, espérant se détendre. Elle jeta un œil sur le côté. Margot et Sissi, ses sœurs, étaient immobiles, figées comme des statues. Ni l’une ni l’autre ne paraissaient trouver le temps long. Elles entouraient leur père Charles, recroquevillé dans son fauteuil roulant, et leur grand-mère Sidonie, assise sur une chaise parce qu’elle ne tenait pas longtemps debout. Près du lit, Anne Kerhuel, la femme du défunt, avait les mains jointes et marmonnait des prières.
À ses côtés, Arnaud, son fils cadet, essuyait de temps en temps une larme sur sa joue. Plus loin, Célestin, l’aîné, se tenait droit, impassible, presque sans expression. D’ailleurs, avait-il jamais manifesté un sentiment ? pensa Florence qui ne se souvenait pas de lui autrement que les mâchoires serrées. Il ne lui avait jamais adressé la parole. Elle ne savait même pas si elle l’avait déjà vu rire ou au moins sourire. Il avait toujours eu ce masque imperméable aux émotions qui ne donnait aucune envie de l’aborder, de lui parler. Gosse, il était déjà comme ça, et Florence ne l’avait jamais apprécié. Il avait bien des copains, des gars du village avec lesquels il traînait, mais elle n’avait jamais noué de lien avec eux. Sans doute était-elle trop jeune pour faire partie de la bande. Ils devaient être cinq ou six ans plus vieux qu’elle. Une éternité, lorsqu’on est adolescent…
Une bourrasque fit craquer la charpente, et Florence en profita pour bouger un peu. La tempête allait-elle souffler de nouveau ? La météo avait annoncé quelques coups de vent. Rien de comparable avec le déchaînement des éléments qui avaient ravagé la pointe bretonne un mois plus tôt et expliquait pourquoi ils se retrouvaient autour de la dépouille de Louis Kerhuel reposant dans des draps d’un blanc immaculé.

Petit bac 2022
(6) Verbe

Partie italienne – Antoine Choplin

61pHTjZgPNL Buchet Chastel – août 2022 – 176 pages

Quatrième de couverture :
Gaspar est un artiste reconnu et sollicité. Pourtant, en ce début de printemps, il ne rêve que de quitter Paris et s’installer Campo de’Fiori, à Rome. Là, à une terrasse de café, devant un jeu d’échecs, il joue contre des amateurs de passage et savoure la beauté des jours. Un matin, une femme s’installe à sa table pour une partie. Elle s’avère être une adversaire redoutable et gagne très vite. Elle s’appelle Marya, vient de Hongrie. L’histoire entre eux naît sur l’échiquier, avant de se déployer ailleurs, singulière et douce. Partie italienne, nouveau roman d’Antoine Choplin, ne défend aucune cause, ne prend aucun parti, excepté celui de la puissance de la Mémoire.

Auteur : Antoine Choplin est l’auteur de Radeau, du Héron de Guernica, de Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar et de La Nuit tombée (prix France Télévisions 2012).

Mon avis : (lu en octobre 2022)
Gaspar est un artiste parisien reconnu. Sous le prétexte de préparer une conférence, il s’est enfui à Rome avec son échiquier. N’ayant pas cœur à travailler, il flâne dans les rues de la ville puis s’installe avec son jeu d’échecs à la terrasse d’un café-restaurant situé sur la place du Campo dei Fiori. A l’ombre d’une statue de Giordano Bruno, dominicain savant et philosophe, brûlé comme hérétique en 1600 sur cette même place, Gaspar joue des parties avec ceux qui veulent. Un jour, Marya, une jeune hongroise talentueuse, s’installe devant Gaspar et après une partie acharnée, elle est la gagnante, s’ensuive deux autres parties avant qu’elle ne disparaisse… Bien sûr, Gaspar et Marya se reverront et nous en apprendrons un peu plus sur les deux personnages principaux de cette jolie histoire. Marya est œnologue, elle parle avec beaucoup de poésie du vin. Et comme Gaspar, nous découvrons la terrible histoire du grand-père de Marya qui est à l’origine de son talent pour les échecs.
L’écriture d’Antoine Choplin est à simple, juste, sans un mot de trop.
Il est question d’art, d’échecs, de la mémoire et d’amour.

Je ne connais pas Rome, mais à la lecture il m’a semblé accompagner Marya et Gaspar dans leurs promenades dans les ruelles de la ville…

Extrait :
Sur l’échiquier finement marqueté, les pièces projettent leurs ombres élégantes. Avec nonchalance, l’index de l’homme qui s’est assis en face de moi glisse un instant sur le plateau pour épouser les contours de deux ou trois d’entre elles. Et puis, après un regard vers moi, il pousse son pion en e4.

Le soleil vient de se hisser au-dessus des toits vermillon du Campo de’Fiori. En moins de deux, il a jeté sur la place son sortilège printanier, comme une poudre.
Il fait bon.
Alentour, installés sous de vastes parasols, les marchands ambulants ont commencé à élever la voix pour attirer les passants ou seulement plaisanter entre eux.
Je suis attablé sur la terrasse du restaurant Virgilio, avec mon jeu d’échecs et l’aval du patron, un petit gars tout rond aux cheveux noirs et gominés, qui a hésité un instant avant de trouver l’idée plutôt amusante. Je n’aurais qu’à me plier, le cas échéant, aux nécessités du service, voilà tout.
Mon téléphone vibre dans ma poche. C’est Amandine, elle doit vouloir prendre de mes nouvelles, est-ce que j’ai fait bon voyage, est-ce que l’hôtel – celui qu’elle a réservé pour moi depuis Paris – est correct, comment est la météo à Rome. J’ignore son appel.
Ça fait quelques jours que j’aspire à cet instant-là. Libre et tranquille, sous le ciel italien de mai, loin des sollicitations, des figures d’apparat et des tensions de ces derniers temps. Avec, comme seule préoccupation, de belles parties à disputer contre des inconnus de passage. Avec, entre nous, rien d’autre que le langage universel du jeu, son lexique partagé, simple et profond, honnête.
On y est.
Sans pouvoir m’empêcher de sourire, j’engage une défense sicilienne.
Pion en c5, donc.

Quelques badauds ralentissent le pas, s’arrêtent un moment pour regarder la partie. Certains commentent la position en chuchotant, la bouche collée à l’oreille de leur voisin. Parfois, je lève furtivement les yeux vers eux, sans vraiment leur porter attention. À quelques mètres, en nous fixant, un marchand de fruits et légumes ironise à voix haute et avec bienveillance sur ceux qui ont la chance d’avoir un cerveau et ceux, dans son genre à lui, qui sont bien obligés de se débrouiller sans.

Déjà lu du même auteur :

le_h_ron_de_guernica Le héron de Guernica 5600 La nuit tombée

cour_nord Cour Nord choplin_radeau Radeau 98602965 Les gouffres
61tryRi2mhL Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar

51N7jdr-0eL Partiellement nuageux

L’heure des oiseaux – Maud Simonnot

610yaRtc9gL Éditions de l’Observatoire – août 2022 – 158 pages

Quatrième de couverture :
Île de Jersey, 1959. Pour survivre à la cruauté et à la tristesse de l’orphelinat, Lily puise tout son courage dans le chant des oiseaux, l’étrange amitié partagée avec un ermite du fond des bois et l’amour inconditionnel qui la lie au Petit. Soixante ans plus tard, une jeune femme se rend à Jersey afin d’enquêter sur le passé de son père. Les îliens éludent les questions que pose cette étrangère sur la sordide affaire qui a secoué le paradis marin. Derrière ce décor de rêve pour surfeurs et botanistes se dévoilent enfin les drames tenus si longtemps secrets.

Auteure : Maud Simonnot a passé sa jeunesse dans le Morvan et plusieurs années en Norvège. Sa biographie de Robert McAlmon, La Nuit pour adresse (2017) a reçu le prix Larbaud et a été finaliste du prix Médicis essai. L’enfant céleste (2020) a été dans la sélection Goncourt 2020, finaliste du Goncourt des lycéens et choix Goncourt de l’Italie. 

Mon avis : (lu en septembre 2022)
Dans ce roman inspiré de faits réels autour de l’orphelinat de la honte de l’Île de Jersey, un scandale qui a éclaté en 2008 : des témoignages de sévices et de maltraitances d’enfants des années 1950 jusqu’à la fermeture de l’établissement en 1986. Dans cette histoire, cette ambiance malsaine est simplement suggérée.
En alternance, l’auteure nous raconte l’histoire de Lily pensionnaire en 1959 qui pour survivre au quotidien difficile de l’orphelinat, s’échappe en douce dans la nature apaisante de l’île avec le chant des oiseaux, les fleurs, les coquillages, la mer, le ciel…
Soixante ans plus tard, la narratrice est sur l’Île pour enquêter sur le passé de son père, qui a été à l’orphelinat alors qu’il avait 5 ans… Durant toutes ces années, il avait effacé cet épisode de vie de sa mémoire et alors que les témoignages sont apparu dans la presse que des morceaux de souvenirs ont refait surface…
Les Îliens sont des taiseux, cette mauvaise publicité faite à l’Île de Jersey, surnommée également “l’île aux fleurs” les irritent et la narratrice va devoir rencontrer les bonnes personnes pour avoir quelques réponses à ses interrogations.
C’est un roman où la poésie de la nature contraste avec la méchanceté et la cruauté des hommes.
J’ai beaucoup aimé.

Extrait : (début du livre)
La buanderie est une étuve décrépie, entourée de longs bancs et de hublots sales par lesquels même les jours radieux ne filtre qu’une grisaille diffuse, mais c’est la pièce préférée de Lily. Car ici on l’oublie parfois pendant des heures à la tâche, ici la fillette est enfin tranquille.

Cachée derrière une pile de linge, elle aperçoit dans l’encadrement de la porte l’intendante et le surveillant en chef en train de s’embrasser. Si la jeune femme blonde a un visage disgracieux, le surveillant est bien plus repoussant avec ses manières grossières et l’éclair mauvais qui anime son regard. Lily, comme tous les enfants de l’orphelinat, le déteste et le craint.

D’abord surprise par cette scène inattendue, la fillette sourit. Tant que ces deux-là s’occuperont de leurs affaires, ils ne seront pas derrière elle.

Le jour où je suis arrivée sur l’île, il neigeait.
J’avais rêvé d’azur, de voiliers et de soleils couchants qui brûlent en silence, j’ai débarqué en pleine tempête dans un endroit où personne ne m’attendait.

Par facilité j’avais choisi un vieil hôtel dans un port du sud de l’île, près de la capitale, Saint-Hélier, à quelques kilomètres du lieu des crimes. Comme tous les villages bordant cette côte, celui-ci était bâti au creux d’une baie abritée des tempêtes. Mon guide précisait : « une superbe baie dessinée par des chaos de roches se perdant dans le bleu intense de la Manche ».
D’ordinaire le soir on pouvait voir, ajouta le patron de l’hôtel, le demi-cercle scintillant d’une guirlande qui ourlait la côte sur des kilomètres. J’étais prête à croire le guide et cet homme enthousiaste mais ce jour-là on ne distinguait pas son chien au bout de la laisse, et tout était d’un blanc triste, le ciel comme la mer.

Petit bac 2022
(6) Animal

Les narcisses blancs – Sylvie Wojcik

 Arléa – septembre 2021 – 101 pages

Quatrième de couverture :
Jeanne et Gaëlle se rencontrent par hasard, un soir d’orage et de tempête, dans un gîte d’étape sur les sentiers de Compostelle. Spontanément, elles prennent la route ensemble. Très vite, elles quitteront ce chemin de randonnée bien tracé pour un autre chemin, au cœur de l’Aubrac, de ses pâturages et de ses champs de narcisses. Ce chemin dans un milieu à la fois dur et enchanteur les ramènera chacune à son histoire, son passé, sa raison de vivre. Elles ne sont pas là pour les mêmes raisons, mais au bout de leur quête, c’est pourtant le même besoin de lumière et de paix qui les fait avancer. Tout semble les opposer, une différence d’âge, d’éducation, de milieu social, mais, de ces différences, naîtront une grande proximité, une force qui les nourrira l’une et l’autre.
Roman sur le dépassement de soi, sur la puissance des rencontres et sur le grandiose d’une nature sublimée, Les Narcisses blancs nous embarque avec grâce au cœur de cette région magnifique et sauvage qu’est l’Aubrac.

Auteure : Sylvie Wojcik vit à Strasbourg où elle est traductrice. Son premier roman, Le Chemin de Santa Lucia, a été publié en 2020.

Mon avis : (lu en août 2022)
Un soir d’orage, Gaëlle et Jeanne se rencontrent par hasard dans un gîte d’étape sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Tout semble les opposer, Gaëlle est jeune, elle vient d’un squat et elle se méfie de tout comme un petit animal sauvage. Jeanne est âgée, ancienne infirmière, elle est sociable mais garde une part de mystère.  La rencontre est belle et après la soirée au gîte, elles décident de continuer la route ensemble même si elles ne marchent pas au même rythme, elles se retrouvent en soirée. Elles vont même décider de quitter le chemin officiel pour une nouvelle direction et marcher à travers l’Aubrac.
Les deux femmes cheminent, en quête d’elles-mêmes, et au fil du livre, nous découvrons la personnalité de chacune, leur parcours personnel.
Voilà un petit livre plein d’émotion, de pudeur, de vérité avec deux personnages extrêmement attachants.

Extrait : (début du livre)
Depuis qu’elle avait trouvé ce magazine un soir d’errance dans le dernier tram, Gaëlle élaborait son plan. Elle quitterait Ludo, leur squat de la ruelle aux pinsons et leurs rêves qui s’épuisaient sur un bout de trottoir, pour suivre le tracé rouge de la carte, de point en point. Des noms qui ne lui disaient rien mais qu’elle récitait tout bas comme un poème prenant peu à peu corps avec elle.

Elle gardait précieusement sur elle quelques billets de banque qu’elle s’était juré de ne pas partager. De quoi acheter un aller simple en seconde classe et un peu plus encore. C’était l’argent volé l’hiver dernier à la petite vieille de la maison d’en face, sans remords parce qu’elle la trouvait laide, parce qu’elle la trouvait vieille et parce que les vieux, de toute façon, elle ne les aimait pas.
À l’aube d’un matin d’avril, dans la villa abandonnée, Gaëlle ouvrit son duvet et enjamba les corps endormis à même le sol. Dehors, le nez au vent, les cheveux ramenés en boule sous sa casquette, elle zigzaguait dans les herbes folles le long de la voie ferrée. Elle avait accroché, sur le rabat de son sac à dos, une coquille trouvée dans une poubelle et lavée dans l’eau du canal. Sur le quai, l’autorail de six heures, emmitouflé dans la brume, attendait.

Petit bac 2022
(6) Couleur