Stock – février 2020 – 323 pages
Quatrième de couverture :
« La scène se joue non loin du lac Baïkal, où je vis, où j’aime, où j’ai la chance d’être aimé, à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale. Des hommes cagoulés surgissent, c’est le matin. Ma fille crie. Elle a cinq ans. Je suis arrêté sous ses yeux, frappé ensuite avec science, interrogé, mais surtout frappé de ce mot ignominieux qu’il m’est pénible d’écrire : pédophilie. Sous les cagoules et dans l’ombre, des hommes veulent ma peau. Ils ont enclenché une mécanique de destruction, grossière et implacable, elle porte un nom, je le connais, le mot a été inventé par le KGB : Kompromat.
Dans les geôles de Sibérie, je tente de comprendre. Dans l’hôpital psychiatrique où je suis plus tard enfermé, je tente de comprendre. On me promet quinze années de camp à régime sévère. L’histoire de mes évasions peut commencer.
Nommer les personnages et les lieux importe peu. Je n’ai rien inventé. C’est un film, et ce n’en est pas un. C’est un roman, et ce n’en est pas un. Ce qui importe, c’est le moment de beauté où la littérature rend la vie plus intéressante que la littérature, ce qu’il faut, c’est l’attraper comme on attrape un poignard. La meute lancée à mes trousses craignait que tout finisse dans un livre. Le voilà. »
Auteur :Yoann Barbereau est né en 1978. Après des études de philosophie, il enseigne à Paris. Il a travaillé près de dix ans en Russie, où il a notamment dirigé l’Alliance française d’Irkoutsk. Il a publié des textes en revue (artpress, Revue d’esthétique…) et une traduction du Journal de prison du poète russe Igor Gouberman (Joca Seria, 2020).
Mon avis : (lu en janvier 2021)
Ce livre n’est pas un roman, mais le témoignage de Yoann Barbereau, directeur de l’Alliance Française à Irkoutsk qui a été piégé et arrêté par le FSB (les services de renseignement russes). C’est une histoire incroyable, un vrai roman d’espionnage : en février 2015, il est brutalement arrêté pour des accusations de pédophilie montées de toutes pièces. Il est d’abord emprisonné pendant 71 jours dans la prison d’Irkoutsk, puis sera interné dans un hôpital psychiatrique 3 semaines pour subir des tests psychologiques. Il est ensuite assigné à résidence avec un bracelet électronique en attendant un hypothétique procès… Voyant que cela s’éternise et que les autorités françaises ne lui viennent pas en aide, Yoann Barbereau prépare lui-même son départ et réussi à tromper la surveillance pour s’évader de Sibérie jusqu’à l’ambassade de France à Moscou. Il pense alors que bientôt il pourra retourner en France et revoir les siens… Mais l’aventure se poursuit, en effet pendant 14 mois, il se retrouve prisonnier de l’Ambassade de France, cloîtré dans une chambre de 15 m². Trop préoccupés par leur plan de carrière les autorités de l’ambassade, ceux ne font rien. Considéré comme un « colis encombrant », il ne faut pas que l’on sache qu’il est réfugié à l’ambassade. Lorsque Yoann apprend sa condamnation par contumace à 15 ans de camp de travail, il décide de nouveau, de s’enfuir pour gagner l’Europe et réussit enfin à rejoindre la France en novembre 2017.
Un témoignage palpitant, très bien écrit. Victime d’un kompromat, Yoann n’a rien inventé et puisque ses accusateurs n’avaient qu’une crainte que son histoire se termine dans un livre… Nous devenons également des témoins de ce qui s’est passé en Sibérie…
Extrait : (début du livre)
Tiens, des mots bruissent dans ma tête de taulard.
Une voix dit :
« Il l’ignore, pourtant, celui qui n’a pas senti le gel prendre sur sa peau n’est que l’ébauche d’un homme. »
La formule est un peu sèche, un peu raide, sentencieuse. Sortie de la bouche d’Alexandre, ce jour-là, elle était juste. Elle sonnait. Nous étions au bord du lac, dans une cabane qui aurait pu être un décor de cinéma. Température extérieure : – 41 °C. Le poêle réchauffait les corps à l’excès. J’étais en nage.
J’étais en forme. Viktor me servit une goutte de vodka dans un gobelet en argent dont il était très fier. Alexandre fit l’impasse. Il y avait la cabane, les bûches sagement empilées près du poêle, quelques flammèches, l’odeur du bois, du poisson, les petits gobelets et la fenêtre qui nous happait. Pris entre les falaises, la forêt et le lac glacés, nous goûtions une forme de félicité au milieu de nulle part – aucune route et pas âme qui vive à moins de dix heures de marche. Le gel est entré dans la conversation, je m’en souviens. Alexandre était cramoisi, mais des phrases limpides sortaient de sa barbe poivre et sel. Je les entends du fond de ma geôle.
« L’expérience du gel est une mise en question. C’est la mise à l’épreuve de ce qu’un homme sait du fait d’être. »
Nous étions prêts. Nous avons avalé les derniers morceaux de poisson fumé et pris la direction du lac. Trois moujiks déterminés sur la glace du Baïkal. Le ciel était d’un bleu catégorique, la lumière finement ajustée. Tout concourait à rendre notre expédition théâtrale. Les petits gobelets d’argent avaient leur part, sans doute.
Il y avait surtout le lac.
(1) Lieu