L’homme qui savait la langue des serpents – Andrus Kivirähk

L'homme qui savait la langue 61dykLn+qvL

Audiolib – juillet 2019 – 13h57 – Lu par Emmanuel Dekoninck

Le Tripode – mai 2015 – 480 pages

traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier

Titre original : Mees, kes teadis ussisõnu, 2007

Quatrième de couverture :
Voici l’histoire du dernier des hommes qui parlait la langue des serpents, de sa sœur qui tomba amoureuse d’un ours, de sa mère qui rôtissait compulsivement des élans, de son grand-père qui guerroyait sans jambes, de son oncle qu’il aimait tant, d’une jeune fille qui croyait en l’amour, d’un sage qui ne l’était pas tant que ça, d’une paysanne qui rêvait d’un loup-garou, d’un vieil homme qui chassait les vents, d’une salamandre qui volait dans les airs, d’australopithèques qui élevaient des poux géants, d’un poisson titanesque las de ce monde et de chevaliers teutons un peu épouvantés par tout ce qui précède.
Peuplé de personnages étonnants, empreint de réalisme magique et d’un souffle inspiré des sagas scandinaves, L’Homme qui savait la langue des serpents révèle l’humour et l’imagination franchement délirante d’Andrus Kivirähk. Le roman retrace dans une époque médiévale réinventée la vie peu banale d’un jeune homme qui, vivant dans la forêt, voit le monde de ses ancêtres disparaître et la modernité l’emporter.

Auteur : Andrus Kivirähk est un écrivain estonien né en 1970 à Tallinn. Véritable phénomène littéraire dans son pays, romancier, journaliste et essayiste, il est l’auteur d’une oeuvre déjà importante qui suscite l’enthousiasme tant de la critique que d’un très large public, qui raffole de ses histoires. Andrus Kivirähk écrit des romans et des nouvelles, des pièces de théâtre, des textes et des scénarios de films d’animation pour enfants.

Lecteur : Interprète de théâtre de grand talent, apprécié à Bruxelles et à Paris, metteur en scène et également compositeur, Emmanuel Dekoninck vit en Belgique.

Mon avis : (écouté en février 2020)
Je ne savais pas à quoi m’attendre avant de commencer cette lecture et je n’ai pas été déçue… C’est un ovni littéraire qui mélange histoire, mythologie, fantastique, quête initiatique, saga familiale et histoire d’amour…
Ce roman se situe dans une Estonie imaginaire à une époque inspirée du Moyen Âge, lors de la colonisation de terres du nord de l’Europe par les Chevaliers Teutoniques, sous couvert de croisade.
Le jeune Leemet vit avec sa famille et sa tribu dans une immense forêt. Ils sont les derniers témoins d’une civilisation et d’une culture qui vont disparaître… La principale caractéristique est la maîtrise de la langue des serpents, une langue magique qui permet de se faire comprendre des serpents et de se faire obéir de la plupart des animaux. En forêt, la vie est paisible, il est facile chasser le gibier. Les hommes élèvent des louves dans leurs étables, pour les traire et boire leur lait. Les ours comme les serpents sont amis des hommes.
Avec l’arrivée des «hommes de fer», peu à peu les gens quittent la forêt pour s’installer dans le village situé proche de là. Ils découvrent l’agriculture, le christianisme, abandonnent leur prénom pour un prénom chrétien, se nourrissent de pain plutôt que de gibier… Peu à peu, ils oublient leurs origines et également la langue des serpents.
Ce récit offre à réfléchir sur la notion d’identité, et aborde également des thèmes d’actualité, comme l’évolution des civilisations, la place de la religion et les dangers de l’extrémisme.
Tout cela semble très sérieux mais détrompez-vous, l’humour est bien présent avec une galerie de personnages hauts en couleur, aussi surprenants qu’attachants, qu’Andrus Kivirähk propose au lecteur. Du serpent royal Ints, à la Maman de Leemet qui régalent ses enfants d’œufs de chouette et de ragoût d’élan, en passant par des ours particulièrement dragueurs et amateurs de femmes ou Ülgas, le Sage du Bois Sacré, extrémisme religieux qui tyrannisent les gens au nom des esprits de la forêt que personne n’a jamais vus ou Pirre et Rääk, deux anthropopithèques qui refusent tout progrès et qui élèvent et dressent des poux, et sans oublier la Salamandre, l’animal protecteur de la forêt, qui vole dans le ciel mais qui n’a pas été vue depuis longtemps…
J’ai eu un peu de mal entrer dans ce livre, les nombreux personnages mélange d’animaux et d’humains aux noms difficiles à retenir… Je ne suis pas non plus une habituée de littérature de l’imaginaire…
Après l’écoute d’une dizaine de chapitres, j’ai sauté jusqu’à la post-face du traducteur (dernière plage audio) ce qui m’a permis de mieux comprendre ce roman et ses références estoniennes. Ensuite, j’ai repris la lecture depuis le début, sans aucune difficulté et j’ai même bien apprécié cette histoire pleine de surprises, de rebondissements et d’enseignements…
Bravo au lecteur, Emmanuel Dekoninck, toujours très expressif et posé que j’avais déjà beaucoup apprécié dans la série Millenium.

 

Extrait : (début du livre)
Il n’y a plus personne dans la forêt. Sauf des scarabées et autres petites bestioles, bien entendu. Eux, c’est comme si rien ne leur faisait de l’effet, ils persistent à bourdonner ou à striduler comme avant. Ils volent, ils mordent, ils sucent le sang, ils me grimpent toujours aussi absurdement sur la jambe quand je me trouve sur leur chemin, ils courent dans tous les sens jusqu’à ce que je les fasse tomber par terre ou que je les écrase. Leur monde est toujours le même — mais même cela, il n’y en a plus pour longtemps. Leur heure viendra ! Bien sûr, je ne serai plus là pour le voir, nul ne sera plus là. Mais leur heure viendra, j’en suis sûr et certain.
À vrai dire, je ne sors plus très souvent, je fais surface une fois par semaine peut-être, pour aller prendre de l’eau à la source. Je me lave et je lave ma protégée, elle est toute
chaude. Il faut beaucoup d’eau, plusieurs allées et venues ; mais il est bien rare qu’en chemin je rencontre quelqu’un avec qui échanger quelques mots. La plupart du temps il
n’y a pas âme qui vive, une ou deux fois je suis tombé sur un chevreuil ou sur un sanglier ; mais ils se sont faits froussards, ils me craignent rien qu’à l’odeur. Quand je siffle, ils se
figent sur place, ils me fixent d’un air borné, les yeux ronds, sans s’approcher. En voilà un prodige : un homme qui sait la langue des serpents ! Cela les effraye encore plus : ils sauteraient volontiers tête première dans les fourrés, ils prendraient leurs pattes à leur cou pour mettre toute la distance possible entre eux et cette monstruosité — mais pas moyen : les mots, les mots des serpents, les en empêchent. Je siffle encore, plus fort ; sévèrement, je leur ordonne de venir auprès de moi. Ils brament désespérément, ils se traînent vers moi à contrecœur. Je pourrais prendre pitié d’eux et les laisser s’en aller, mais à quoi bon ? Il y a en moi une étrange colère envers ces créatures qui ont tout oublié des anciennes coutumes et bondissent dans les sous-bois comme si, de toute éternité, ceux-ci n’avaient été créés que pour qu’elles s’y ébattent librement. Alors je siffle encore, et cette fois les mots que je siffle sont comme une fondrière dont il est impossible de s’extraire. Perdant toute volonté, les bêtes se ruent sur moi comme des flèches tandis que leurs entrailles explosent sous l’effet de cette tension insupportable. Les ventres se déchirent comme des pantalons trop serrés et les intestins se répandent sur l’herbe. C’est un spectacle répugnant, et je n’en ai guère de joie, mais jamais je ne m’abstiens d’éprouver mon pouvoir.
Est-ce ma faute si ces brutes ne savent plus la langue des serpents que mes ancêtres leur ont enseignée jadis ?

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