L’évangile des anguilles – Patrik Svensson

Lu en partenariat avec Babelio et Le Seuil

61Kj8pO7iaL Le Seuil – janvier 2021 – 288 pages

traduit du suédois par Anne Gibson

Titre original : Ålevangeliet, 2019

Quatrième de couverture :
 » Quiconque cherche l’origine de quelque chose est aussi à la recherche de sa propre origine. « 
C’est l’une des créatures les plus énigmatiques du règne animal. Omniprésente depuis la nuit des temps (dans toutes les mers du globe, dans la mythologie, la Bible, l’Égypte ancienne, la littérature et d’innombrables cultures de par le monde, du Japon à la Scandinavie en passant par le pays basque), l’anguille ne cesse pourtant de se dérober à notre compréhension. Comment se reproduit-elle ? Pourquoi retourne-t-elle à la fin de son existence à son lieu d’origine, la mer des Sargasses, au large des Bermudes – où nul être humain cependant n’a jamais réussi à la voir ? Aristote croyait qu’elle naissait spontanément de la vase ; Sigmund Freud commença sa carrière en disséquant des centaines d’anguilles afin de dénicher leurs organes reproducteurs – en vain. Et aujourd’hui encore,  » la question de l’anguille  » demeure en grande partie irrésolue.
Patrik Svensson a passé son enfance à pêcher l’anguille, avec son père. La nuit, en silence, pendant des heures, ils attendaient de sentir vibrer le mystère au bout de leur ligne plongée dans les profondeurs des rivières et des lacs. Au point que cet animal, source de fascination autant que d’effroi, est devenu pour lui un totem – le symbole de tout ce qui demeure hors de notre portée, et à quoi pourtant nous accordons notre foi.
En mêlant la grande aventure scientifique, écologique, et le récit intime, L’Évangile des anguilles dévoile un pan de cet autre mystère, que chacun porte en soi : celui de nos propres origines et du sens même de la vie.

Auteur : Patrik Svensson, né en 1972, a grandi dans une petite ville du nord-ouest de la Scanie, dans le sud de la Suède, non loin de ce qu’on appelle souvent  » la côte des anguilles « . Passionné dès son enfance par le monde naturel et animal, il a fait des études de littérature puis est devenu journaliste, spécialisé dans les arts, la culture mais aussi la recherche scientifique. Best-seller traduit dans plus de 30 pays et lauréat du prix August, le  » Goncourt  » suédois, L’Évangile des anguilles est son premier livre.

Mon avis : (lu en janvier 2021)
Ce livre m’a été proposée comme un « roman » et c’est également ce que sous-entend le sous-titre « Histoire d’un père, d’un fils et de la créature la plus mystérieuse du monde animal ». Dans les faits, c’est à la fois un document scientifique, historique et en parallèle un récit intime. En effet, l’auteur raconte ses parties de pêche à l’anguille avec son père, leurs expérimentations et observations mais surtout nous informe sur le mystère qu’a toujours été cet animal. Entre poisson et serpent, l’anguille naît quelque part dans la mer des Sargasses sous forme de larves qui sont transportées par les courants du Gulf Stream et de la dérive nord-atlantique vers les eaux européennes. Elles deviennent alors civelles le long du littoral et dans les estuaires en Europe, ensuite après avoir remonté les rivières elles passent au stade d’anguille jaune pendant de longues années vivant dans les milieux humides, cours d’eaux, mares, fossés. Elle est capable de contourner de nombreux obstacles, et même s’il le faut, de sortir de l’eau. Enfin, c’est le dernier stade avec celui de l’anguille argentée et le moment de faire le chemin inverse, quitter les zones d’eau douce, retrouver la mer et reprendre le long voyage vers les Sargasses…
La vie d’une anguille n’est pas un long fleuve tranquille et il a fallu des siècles et de nombreux chercheurs ou chercheuses pour la comprendre et encore aujourd’hui, il reste des questions en suspens…
M’attendant à lire un roman, j’ai eu un peu de mal à entrer dans ma lecture puis l’intérêt du sujet qui mélange, science, géographie, histoire, philosophie, etc… m’a passionné. Mais en comparaison, les interludes souvenirs d’enfance et de pêches m’ont paru trop courts… car touchants et plus personnels.
Merci à Babelio et Le Seuil pour cette découverte instructive et palpitante.

Extrait : (début du livre)
Or la naissance de l’anguille arrive en cette manière: elle voit le jour dans une partie du nord‑ouest de l’Atlantique appelée mer des Sargasses, qui semble comme faite pour elle, à tout point de vue. Car la mer des Sargasses est moins une entité maritime propre qu’une sorte de mer dans la mer. Difficile de dire où elle commence et où elle finit; elle ne se laisse pas mesurer avec les instruments du monde ordinaire. Située un peu au nord de Cuba et des Bahamas, au large de la côte Est des États‑Unis, elle constitue un espace mouvant. Il en va de la mer des Sargasses comme du rêve, on ne peut pas affirmer avec précision à quel moment on y entre, à quel moment on en sort; on sait seulement qu’on y a été.Cette évanescence tient au fait qu’elle ne possède aucune frontière terrestre; seuls quatre grands courants océaniques la délimitent. À l’ouest, le Gulf Stream nourricier ; au nord, la branche qu’on appelle la dérive nord‑atlantique; à l’est, le courant des Canaries et au sud, le courant nord‑équatorial. Vaste de cinq millions de kilomètres carrés, la mer des Sargasses se déplace tel un tourbillon lent et chaud à l’intérieur du cercle fermé de ces courants. Ce qui entre ici n’en sort pas si facilement.
L’eau y est limpide, d’un bleu profond. Elle atteint par endroits sept mille mètres de profondeur. La surface est couverte de gigantesques nappes d’algues brunes et collantes appelées Sargassum, ou algues sargasses, d’où son nom. Leurs sarments épais forment des tapisseries longues de plusieurs kilomètres qui couvrent la surface de l’eau et protègent une infinité de créatures: petits invertébrés, pois‑sons, méduses, tortues, crevettes et crabes. Les profondeurs abritent d’autres formes de végétation. Une vie grouillante dans le noir, comme une forêt la nuit.C’est ici l’origine de Anguilla anguilla, l’anguille européenne. Ici que les femelles et les mâles ayant atteint la maturité sexuelle viennent frayer au printemps. Ici que prend forme, à l’abri de l’obscurité profonde, une larve à la tête ridiculement petite et aux yeux mal développés. On l’appelle larve leptocéphale; son corps est long de quelques millimètres à peine et présente la forme d’une minuscule feuille de saule. Tel est le premier stade de l’anguille.
La feuille de saule translucide commence aussitôt son voyage. Portée par le Gulf Stream, elle dérive sur des milliers de kilomètres à travers l’Atlantique en direction des côtes européennes. Cette pérégrination peut prendre jusqu’à trois ans; pendant ce temps, la larve enfle comme une bulle, millimètre par millimètre, et lorsqu’enfin elle atteint les rivages de l’Europe, elle subit sa première métamorphose, se transforme en alevin ou «civelle». Tel est le deuxième stade de l’anguille.À l’image de leur précédente incarnation en forme de feuille, ces civelles sont minces, sinueuses et translucides, comme si la couleur pas plus que le péché n’avait encore trouvé place dans leur corps pâle. Longues de six ou sept centimètres, elles ressemblent, écrivait l’auteure et biologiste marine Rachel Carson, à « de minces tiges de verre, moins longues qu’un doigt ». En anglais on les appelle d’ailleurs glass eels, « anguilles de verre ». Elles sont fragiles, sans défense, et passent pour un mets délicat, notamment au Pays basque.

Petit Bac 2021
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