Le vertige des falaises – Gilles Paris

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Stock – avril 2017 – 256 pages

J’ai Lu – septembre 2018 – 286 pages

Quatrième de couverture :
Marnie de Mortemer vit avec sa mère et sa grand-mère sur une île sauvage balayée par le vent et recouverte d’herbes hautes, de sentiers escarpés et de falaises abruptes… Entre ces trois femmes aux caractères bien trempés se joue un jeu de dupes où les masques tombent peu à peu. Et si la seule personne qui détenait tous les secrets de cette famille décidait de s’en libérer enfin ?

Auteur : Né à Suresnes en 1959, Gilles Paris travaille dans le monde de la communication et de l’événementiel. Il a publié son premier roman, Papa et maman sont morts, en 1991, puis Autobiographie d’une Courgette, Au pays des kangourous, qui a remporté de nombreux prix littéraires, et L’été des lucioles.

Mon avis : (lu en décembre 2018)
Marnie, 13 ans, vit en compagnie de sa mère Rose et de sa grand-mère Olivia sur l’Île dans une maison de verre et d’acier construite par son grand-père Aristide.
Livrée à elle-même, Marnie parcourt l’Île en long et en large, les sentiers et les hautes falaises n’ont aucun secret pour elle, curieuse, elle ouvre ses yeux et ses oreilles pour percer les secrets des adultes…  Rose, atteinte d’un cancer en phase terminale, ne quitte plus sa chambre. Olivia règne en maîtresse femme sur l’Île, elle veut protéger sa famille, en particulier sa petite-fille, et elle détient quelques secrets…
Les hommes sont absents de la vie de Marnie, son grand-père est mort d’une crise cardiaque et son père dans un accident de voiture.
C’est un huis-clos oppressant que nous raconte tour à tour Marnie et Olivia en dévoilant peu à peu une histoire sombre, avec des secrets, des blessures…  

L’Île, sauvage et balayée par le vent est admirablement décrite, elle donne à l’histoire un bol d’air salvateur et un espace rassurant en opposition à cette maison de verre et d’acier où il se passe de drôles de choses…
Les personnages principaux ou secondaires sont attachants, atypiques et pleins de sensibilités. Une lecture captivante !

Extrait : (début du livre)
Marnie
Papa est mort. Je devrais avoir du chagrin, je n’en ai pas. J’irais bien jouer avec Jane, mais la main baguée de grand-mère Olivia m’emprisonne. Le vent, lui, me décoiffe, et des mèches rousses me rendent aussi aveugle que Jane. Je ne vois plus le trou béant dans lequel deux costauds de l’Île font descendre le cercueil d’où papa ne s’enfuira plus. Il n’aurait pas aimé être mort de son vivant. J’entends leurs efforts, ce lit en bois qui cogne sa nouvelle demeure sur laquelle nous allons lâcher une poignée de terre. Tout comme il y a un an, après la mort de grand-père Aristide. Ils sont enterrés l’un près de l’autre tels deux amis qu’ils n’étaient pas. C’est comme ça dans la famille. On ne pense jamais à haute voix, sauf au bord des falaises, là où le vent emporte tout. Je retiens mes mèches, ramasse de la terre rouge et la jette sur le bois vernis. Olivia retire vivement sa main. La bague m’a griffée, je saigne un peu. Les larmes glissent sous ses lunettes, ses rides les retiennent. Elle vient de perdre son fils qui n’aimait que les casinos, les voitures de sport et les jolies femmes. Je répète juste ce que j’ai entendu derrière les portes. Le vent se lève comme toujours sur cette Île, la terre tourbillonne au-dessus du cercueil. Olivia tremble. Je ne sais pas si c’est le chagrin ou le climat changeant de l’Île. Elle salue de la tête Géraud le médecin, et Côme le curé. Elle ne se risquera pas à les embrasser. Chez les Mortemer, on garde ses émotions pour soi. Elle vient d’attraper mes doigts, sans s’y accrocher cette fois, comme lors de nos promenades le long des falaises. On remonte lentement l’allée du cimetière, la maison des morts avec toutes ces tombes grisâtres où ont été ensevelis des hommes, des femmes et des enfants que je n’ai pas connus et pour lesquels je ne ressens absolument rien. Tout comme avec grand-père et papa. J’ai mes raisons. Olivia s’appuie sur mon épaule et fait peser son grand âge. En un an elle a perdu un mari et un fils. Je serais presque heureuse de rentrer à la maison si maman n’était pas si malade. On n’a pas besoin des hommes. Ils n’apportent que du malheur.

Olivia

La petite m’inquiète. Pas une larme pour pleurer son père. Elle n’est heureuse qu’au bord des falaises. Aucun d’entre nous ne s’y risquerait, car à certains endroits, la terre s’effrite et la chute serait inévitable. Le chemin qui bifurque après nos maisons longe ces hauts escarpements sur des centaines de mètres. S’y promener revient à laisser ses pensées vagabonder. C’est tout ce qu’il me reste aujourd’hui. Ces sentiers, et veiller sur Marnie qui n’a pas vraiment eu une enfance heureuse. Cette maison devient trop grande pour nous, mais je ne la quitterai que morte. Au moins nous sommes à l’abri, la fortune d’Aristide est aussi vertigineuse que ces à-pics. Marnie, plus tard, pourra rejoindre le Continent et partir vivre où bon lui semble. Elle découvrira l’Afrique et la Californie où j’ai vécu avec Aristide, il y a bien longtemps. Mais je suis sûre que cette tête de mule ne voudra pas voyager. Elle est comme moi, l’Île est notre ancre. J’y suis née, j’y disparaîtrai en famille avec nos vilains secrets. Prudence veillera sur Marnie, je n’en doute pas. Elle aussi aura sa part d’héritage. Prudence, qui nous protège et nous regarde sans rien dire avec ses yeux bavards. Je sais qu’elle n’aime pas vraiment Marnie, elle a toujours été mal à l’aise avec les enfants, à part Luc. Il faut dire que Marnie n’est pas une enfant facile. Elle désobéit souvent. Et je ne parle pas de ses fugues où elle disparaît plusieurs jours sans donner de nouvelles comme si nous n’étions rien pour elle. Cette Île regorge de granges désaffectées, où Marnie se terre en attendant que la colère se calme, que les vents s’apaisent, que son cœur cesse de battre aussi fort, que tous les démons qui mènent la danse s’épuisent enfin et la ramènent à Glass.

Déjà lu du même auteur :

au pays des kangourous Au pays des kangourous l_t_des_lucioles L’Été des lucioles

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(2) Lieu

Une réflexion sur “Le vertige des falaises – Gilles Paris

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