Les loyautés – Delphine de Vigan

Lu en partenariat avec Audiolib

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Audiolib – mars 2018 – 4h07 – Lu par Marie Bouvier, Odile Cohen, Olivier Martinaud

JC Lattès – janvier 2018 – 208 pages

Quatrième de couverture :
« Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d’innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ? »

Auteur : Delphine de Vigan est notamment l’auteure de No et moi et de Rien ne s’oppose à la nuit. Son dernier roman, D’après une histoire vraie, a obtenu le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des lycéens et la version audio, lue par Mariane Épin, a été récompensée par le Prix Audiolib 2016. Ses livres sont traduits dans le monde entier.

Lecteurs : Marie Bouvier est une comédienne éclectique que l’on peut voir au théâtre, au cinéma, où à la télévision. En 2009, elle a commencé à prêter sa voix pour l’émission Métropolis d’Arte, puis à de nombreux autres documentaires. On peut également l’entendre régulièrement dans les dramatiques de France Culture. Entré dans sa palette depuis 2015, le livre audio est devenu son pêché mignon.
Odile Cohen a commencé sa carrière au théâtre sous la direction de Robert Hossein et Daniel Mesguich. Elle est la voix française attitrée de Renée Zellweger, qui a incarné Bridget Jones au cinéma.
Comédien et metteur en scène, Olivier Martinaud a été formé au Conservatoire supérieur d’art dramatique. On le retrouve au cinéma, à la télévision pour Arte, et à la radio pour France Inter et France Culture, il prête également sa voix pour des émissions, documentaires et fictions.

Mon avis : (écouté en avril 2018)
J’ai écouté ce livre audio d’une traite, un dimanche après-midi. Cette histoire est dite à 4 voix. Celles d’Hélène Destrée, professeur principale dans un collège, ses élèves Théo Lubin et Mathis Guillaume âgés de 12 ans et demi et Cécile Guillaume, la mère de Mathis.
Hélène s’est aperçu que Théo allait de plus en plus mal. Ayant été elle-même battue dans son enfance, le comportement de Théo la renvoie à son enfance, elle est persuadée que Théo est victime de maltraitance. Sans preuve, sa hiérarchie lui interdit d’intervenir…
Théo est en garde alternée chez des parents qui ne communiquent plus du tout. Sa mère est toujours en colère contre son père. Son père n’a plus de travail et est en pleine dépression.
Mathis, le meilleur ami de Théo, vit dans un foyer uni.
Cécile est une femme traumatisée par ses origines et après 20 ans de mariage, elle découvre une part d’ombre de son mari.
Le lecteur est spectateur de cette histoire et de la détresse de ses différents personnages et des « loyautés » qui lient entre eux et les empêchent d’agir : loyauté de Théo vis à vis de son père, loyauté de Mathis pour Théo, loyauté de Cécile vis à vis de son fils, loyauté d’Hélène vis à vis de ses élèves ou de son travail…
L’histoire est forte et dérangeante, on ne peut qu’avoir de l’empathie pour Théo, Mathis, Hélène et Cécile.
Je regrette une conclusion de l’histoire un peu brutale, en plein action et je suis restée sur sa faim tellement la fin est ouverte…

Merci Pauline et Audiolib pour cette lecture inoubliable.

 

Extrait : (début du livre)
Les loyautés.
Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves.

HÉLÈNE

J’ai pensé que le gamin était maltraité, j’y ai pensé très vite, peut-être pas les premiers jours mais pas longtemps après la rentrée, c’était quelque chose dans sa façon de se tenir, de se soustraire au regard, je connais ça, je connais ça par cœur, une manière de se fondre dans le décor, de se laisser traverser par la lumière. Sauf qu’avec moi, ça ne marche pas. Les coups je les ai reçus quand j’étais gosse et les marques je les ai cachées jusqu’au bout, alors à moi, on ne me la fait pas. Je dis le gamin parce que franchement il faut les voir, les garçons, à cet âge-là, avec leurs cheveux fins comme ceux des filles, leur voix de petit poucet, et cette incertitude qui colle à leurs mouvements, il faut les voir s’étonner grands yeux écarquillés, ou se faire engueuler, mains nouées derrière le dos, la lèvre tremblotante, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Pourtant, il n’y a aucun doute, c’est à cet âge-là que ça commence, les vraies conneries.

Quelques semaines après la rentrée, j’ai demandé un entretien avec le Principal au sujet de Théo Lubin. Il a fallu que j’explique plusieurs fois. Non, pas de traces ni de confidences, c’était quelque chose dans l’attitude de l’élève, une sorte de claustration, une manière particulière de fuir l’attention. Monsieur Nemours a commencé par rire : fuir l’attention, mais n’était-ce pas le cas de la moitié de la classe ? Oui, bien sûr que je savais de quoi il parlait : cette habitude qu’ils ont de se tasser sur leur chaise pour ne pas être interrogés, de plonger dans leur sac ou de s’absorber soudain dans la contemplation de leur table comme si la survie de tout l’arrondissement en dépendait. Ceux-là, je les repère sans même relever les yeux. Mais cela n’avait rien à voir avec ça. J’ai demandé ce qu’on savait de l’élève, de sa famille. On devait bien pouvoir trouver quelques éléments dans le dossier, des remarques, un signalement antérieur. Le Principal a repris avec attention les commentaires rédigés sur les bulletins, plusieurs professeurs ont en effet observé son mutisme l’année dernière, mais rien de plus. Il me les a lus à voix haute, « élève très introverti », « il faut participer en classe », « bons résultats mais élève trop silencieux », et j’en passe. Les parents sont séparés, le gamin en garde alternée, rien que de très banal. Le Principal m’a demandé si Théo était lié avec d’autres garçons de la classe, je ne pouvais pas dire le contraire, ils sont toujours fourrés ensemble, tous les deux, ils se sont bien trouvés, même figure d’ange, même couleur de cheveux, même carnation claire, on croirait des jumeaux. Je les observe par la fenêtre quand ils sont dans la cour, ils forment un seul corps, farouche, une sorte de méduse qui se rétracte d’un coup lorsqu’on l’approche, puis s’étire de nouveau une fois le danger passé. Les rares moments où je vois Théo sourire, c’est quand il est avec Mathis Guillaume et qu’aucun adulte ne franchit leur périmètre de sécurité.

 

 

 

 

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