
Phébus – mars 2015 – 192 pages
La Peuplade – novembre 2013 – 230 pages (édition québécoise)
Quatrième de couverture :
Poussé par un sentiment d’urgence, et une étrange panne d’électricité, un homme va tout abandonner pour traverser le continent et aller voir son père. Il veut arriver le plus vite possible, ne pas s’arrêter, même pas pour dormir, à peine pour manger. Son père va mourir il le sent et veut le revoir avant qu’il ne soit trop tard.
Commence alors un long trajet pendant lequel il prendra en stop une femme mystérieuse et un homme volubile. Ils le forceront à faire des détours dans ce paysage inquiétant où la pénurie d’essence et de vivres, due à cette panne d’électricité qui n’en finit plus, agite les populations. La fatigue de la route fait monter l’angoisse aussi rapidement que défilent les kilomètres. Le ciel prend les couleurs d’un orage imminent et dans le rétroviseur apparaît l’ombre de la Bête. Celle d’un Minotaure menaçant qui, dans les dédales du labyrinthe, pourrait bien prendre le dessus sur Thésée.
Auteur : Christian Guay-Poliquin est né au Québec, en 1982. Le Fil des kilomètres est son premier roman.
Mon avis : (lu en avril 2018)
Ayant découvert avec beaucoup de plaisir l’auteur québécois Christian Guay-Poliquin lors de la présentation de son nouveau livre Le Poids de la neige et ayant beaucoup apprécié ce roman et la rencontre avec l’auteur, je me suis procurée son premier roman.
Après un appel téléphonique de son père qu’il n’a pas vu depuis bien longtemps et une panne électrique inexplicable, le narrateur abandonne son travail de mécanicien pour prendre la route dans sa vieille voiture rouge et traverser le continent (aucun indice n’est donné pour situer géographiquement le roman… c’est la volonté de l’auteur…) Pour ma part j’ai imaginé les grands espaces américains (Canada ou États-Unis). 4736 kilomètres le séparent de son père, un très long voyage commence. Il part avec quelques provisions, ses économies et son chat dans un carton. Pour ne pas faire la route seul, notre héros prend en stop une femme assez mystérieuse puis plus tard un homme très bavard. Les kilomètres et les paysages défilent, le conducteur est hanté par ses souvenirs qui le confronte à lui-même, se ravitailler et faire le plein de carburant devient de plus en plus aventureux.
L’environnement devient de plus en plus menaçant et le lecteur attend le dénouement comme dans une histoire à suspense…
L’écriture est poétique, très imagée, en tant que lecteur, on imagine la route défiler autour de nous, on participe au voyage, on est plongé dans cette atmosphère sombre et inquiétante…
Extrait : KILOMÈTRE 0
Début de l’après-midi. Tout vient de s’arrêter. Plus un bruit. Il fait noir comme dans le ventre d’un moteur en panne. Mes pupilles se dilatent pour percer l’obscurité. Je dépose mes outils sur le plancher huileux et m’extirpe à tâtons de sous le camion.
Des voix s’élèvent dans l’antre du garage. On s’étonne. On blague. On cherche une solution. Quelqu’un dit d’ouvrir la porte du hangar. D’autres insistent. On entend le déplacement lourd de quelques bottes de travail. Puis le bruit d’un coffre à outils qui se renverse. L’écho métallique se heurte au plafond avant de longer les murs et de ramper au sol.
Je reste adossé au camion que je réparais. J’agite la main à quelques centimètres de mon visage. Je sais qu’elle est là, mais je ne la vois pas. Normalement, après une coupure de courant, les génératrices prennent le relais. Mais il ne se passe rien.
La porte est coincée. Il faut être plus d’un pour la soulever. On avance prudemment, en cherchant des points de repère au travers de ce désordre fait de véhicules éventrés, de pièces mécaniques et de coffres à outils. À plusieurs, on arrive à forcer la porte. Elle grince sur ses rails pendant qu’une lumière grise et pluvieuse pénètre dans le garage.
On se regarde. Nos visages, nos bras, nos vêtements sont sales. Comme d’habitude. On reste plantés là un instant, puis on sort chacun notre tour pour voir ce qui se passe.
Dehors, pas un son hormis celui de la pluie. Même le vrombissement insatiable de la raffinerie a cessé. Autour, aucun bâtiment ne semble plus avoir d’électricité. À l’avant de chacun d’eux, on voit des silhouettes en bleu de travail s’amasser et scruter les environs tout en restant à l’abri.
Blottie dans l’entrée du garage, notre équipe n’échappe pas à la règle. Certains cherchent où regarder. D’autres parlent d’examiner les boîtes électriques. La majorité ne bouge pas. Attendre. Deux de mes collègues se sont assis sur des coffres et discutent de la suite des choses. Quant à moi, je me sens à ma place sous la corniche ; j’observe les trous d’eau se remplir en fumant une cigarette.
Plus loin, les contremaîtres font des allers-retours entre les bâtisses. L’un d’entre eux finit par venir nous informer qu’ils ont des ennuis avec le système d’appoint. Mais que la direction dit de rester en poste. Ça ne devrait pas durer longtemps. Silence. Il semble attendre un signe d’approbation. On hoche finalement la tête, alors il remonte le col de son imperméable et repart aussitôt. Quelques instants plus tard, trois véhicules de la compagnie passent en trombe devant le garage.
Un collègue s’approche de moi et pointe le bouquet de cheminées de la raffinerie. À travers le crachin, on dirait d’immenses colonnes qui soutiennent les nuages. Il me
demande si je remarque quelque chose. Je le dévisage. Il me dit de regarder encore. Qu’on ne voit plus les flammes qui trônent là-haut jour et nuit. Je lui réponds que c’est la
pluie qui nous empêche de les distinguer. Il se retourne vers les autres, mais personne ne lui accorde d’attention. On est tous trop occupés à attendre notre sort, cloués là par le
poids de nos caps d’acier.
Le grondement des génératrices se fait soudainement entendre. De faibles faisceaux orangés percent à l’entrée des entrepôts. Une lumière de secours s’allume à l’intérieur du
garage. Mais on discerne à peine le nombre de véhicules qui y gisent. Je considère les traces d’huile sur mes mains, sous mes ongles. Pas question de se remettre au travail.
Un groupe d’une autre unité se presse vers le stationnement. Leurs habits sont détrempés et ils ont l’air d’une bande d’épouvantails en mouvement. On s’avance sous
la pluie et on leur demande ce qui se passe. Mais ils ne s’arrêtent pas. Je hausse les épaules. On va nous dire de retourner chez nous.
On patiente encore. Puis on se consulte, on s’interroge et bientôt on parle d’autres choses. Il n’a pas beaucoup plu cet été. C’est vrai, mais quel été ! Tout le monde acquiesce.
Des journées chaudes à n’en plus finir et des nuits claires, lézardées d’aurores boréales. Du jamais vu, selon les nouvelles. Mais moi, je n’ai pas vu grand-chose de tout ça. Je
scrute rarement le ciel. En plus, du village, on ne le voit pas vraiment. À cause des lumières de la raffinerie.
Une demi-heure plus tard, pendant que chacun rassemble ses affaires dans la pénombre, un fourgon de la compagnie circule entre les infrastructures du complexe pétrolier. Sur son toit, des haut-parleurs crachent un message en boucle. Tout n’est pas audible, mais l’essentiel ne fait aucun doute. Le système électrique est en panne. La production doit être interrompue pendant quelques heures. Tout sera réglé dès que possible. Demain. Pour l’instant, on peut rentrer chez nous.
Déjà lu du même auteur :
Déplacement/Moyen de transport (3)