
Héloïse d’Ormesson – avril 2017 – 876 pages
Pocket – avril 2018 – 992 pages
traduit du danois par Caroline Berg
Titre original : Dronningeofret, 2008
Quatrième de couverture :
Présidente d’un parti politique, Elisabeth Meyer connaît par cœur les rouages du pouvoir danois. À la veille des élections, cependant, la maladie qui la ronge en secret vient mettre en péril l’ouvrage de toute une vie. Et le temps presse. Comment reconnaître ses amis de ses ennemis ? Comment convaincre Charlotte, son héritière désignée, de reprendre le flambeau ? Entre guerre contre le terrorisme, dérives identitaires et coups tordus, l’arène politique réclame plus que jamais son lot de sacrifices…
Auteur : Hanne-Vibeke Holst est née en 1959 à Hjørrings. Avant de se consacrer à l’écriture, elle a longtemps été journaliste politique et s’est également illustrée par son engagement pour la cause des femmes. Elle siège aujourd’hui comme membre de la Commission danoise de l’UNESCO. Véritables best-sellers au Danemark, ses romans ont reçu de nombreux prix, notamment le Søren Gyldendal et le prix annuel des libraires danois. L’Héritière et Le Prétendant ont paru chez EHO en octobre 2013 et 2015.
Mon avis : (lu en avril 2018)
Après avoir beaucoup aimé « L’Héritière » et « Le Prétendant », je me suis plongée avec délice dans le troisième tome d’Hanne-Vibeke Holst où l’on retrouve l’univers impitoyable du monde politique.
Elisabeth Meyer, chef du parti social-démocrate danois, souhaite reprendre le pouvoir face au parti libéral. Alors qu’elle s’apprête à se lancer dans la campagne avant les élections, elle ressent les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer comme ont eu avant elle, sa mère et son frère… Une course contre la montre avec la maladie est donc lancée.
Seul son médecin est au courant. Elisabeth va tout faire pour cacher sa maladie à son entourage politique, aux médias et même à ses proches. Elle va devoir convaincre Charlotte Damgaard de poursuivre sa carrière politique, cette dernière ayant eu une proposition de travail pour une ONG écologique qui semble intéresser toute sa famille… Le comportement d’Elisabeth est parfois bizarre et cela interroge ses proches, mais elle est mise à rude épreuve avec cette campagne électorale…
Au fil de l’intrigue, le lecteur découvre dans la vie privée d’Elisabeth, son passé dans une famille juive, un passé qu’elle a caché et le développement de sa maladie et ses conséquences, plus vulnérable qu’avant, elle révèle son côté plus humain.
C’est un suspens formidable très actuel et passionnant et malheureusement le dernier tome de la Trilogie.
Extrait : (début du livre)
C’est à cause de patientes comme elle qu’il a renoncé à abandonner la cigarette. La première de la journée, il l’avait déjà fumée chez lui, en douce, après le petit déjeuner, sur la terrasse de son appartement au quatorzième étage, où il aménageait en ce moment un jardin d’inspiration méditerranéenne, une curiosité au milieu de ce paysage de gratte-ciel. C’était toujours avec une grande fierté qu’il présentait ses pommiers encore chétifs, son figuier sur espalier, ses vignes et leurs premières grappes de raisin qui, ajoutés à quelques conifères à feuillage persistant, viendraient un jour occulter la vue sur Ground Zero d’un côté, sans cacher la statue de la Liberté de l’autre. Si ses invités n’étaient pas suffisamment impressionnés par ce panorama qui lui avait coûté un bras, et qu’ils n’avaient de goût ni pour les plantes aromatiques ni pour les tables en mosaïque marocaine, il avait encore un atout dans sa manche – le même qu’avait utilisé l’agent immobilier pour lui vendre l’appartement. Sur cette terrasse de Battery Park reposait un morceau de l’aile de l’avion du vol 11 de l’American Airlines, celui que l’Égyptien Mohammed Atta avait détourné au nom d’Allah pour le diriger sur la tour nord à 8 h 46, le 11 septembre 2001. L’anecdote était en général suivie par un silence recueilli. Certaines personnes, les femmes en particulier, frissonnaient et allaient se réfugier à l’intérieur, pendant que d’autres, les hommes en général, cédaient à une fascination morbide et restaient immobiles et silencieux jusqu’à ce que l’ennui leur donne des fourmis dans les pieds.
Descendant de pionniers sionistes rescapés des camps de concentration, le docteur Shalev n’avait jamais connu le luxe de pouvoir se plaindre de l’insoutenable légèreté de l’être. La peur que l’État d’Israël soit un jour effacé de la carte du monde avait gâché son enfance et, adolescent, il avait traversé une douloureuse crise existentielle après que son meilleur ami avait été victime d’un kamikaze déguisé en soldat israélien qui s’était fait sauter dans un bus en chemin pour Haïfa. Ce méfait palestinien et les représailles qui s’étaient ensuivies avaient amené Idan Shalev à douter que la vie lui apporte autre chose que malheur et souffrance, haine et vengeance. Cette crise lui avait fait tourner le dos à Dieu et au sionisme, et préférer la médecine à une carrière militaire dans le naïf espoir de contribuer à faire le bien et à soigner les gens. En ce jour de novembre, après avoir effectué sa séance de méditation quotidienne sur sa terrasse, déposé un baiser sur le front de sa femme enceinte et avoir lancé, la cigarette au coin des lèvres, sa spectaculaire jeep jaune canari dans le Battery Tunnel pour abattre à un train d’enfer la distance entre son domicile et son cabinet de Brooklyn, il s’était presque convaincu que s’il n’accomplissait pas de miracles au quotidien, au moins il travaillait pour le bien de ses concitoyens. Immigrant ambitieux et neurologue passionné, il s’efforçait d’aider les patients débarquant chaque jour plus nombreux des quartiers chics de Manhattan pour le consulter. Mais tout cela ne suffisait pas à son bonheur. D’une part, il ne parvenait pas à se débarrasser du sentiment de culpabilité d’avoir fui Israël, ce qui lui valait de fumer un paquet de Marlboro par jour. D’autre part, et malgré tout le mal qu’il se donnait, il détestait être régulièrement obligé de condamner des hommes et des femmes qui venaient chercher, pleins d’appréhension, le résultat redouté de leurs scanners et de leurs analyses.
Comme il allait devoir le faire lorsque sa première patiente de la matinée, une VIP étrangère, serait dans son bureau. Il s’agissait d’une Danoise élégante, aux cheveux couleur de miel, encore très belle malgré sa naissance remontant à 1944, et épargnée par cette dureté des traits qui marquait si souvent les femmes juives quand elles avançaient en âge. Ça devait être le côté ashkénaze qui transparaissait. L’une des branches de sa famille ne descendait-elle pas des von Litauen qui avaient atterri au Danemark sur leur route pour les États-Unis, après avoir dû fuir les pogroms du tsar, comme tant d’autres à cette époque ? En tout cas, c’est ce que lui avait raconté Bent, son sympathique frère au visage couvert de taches de rousseur et aux yeux aussi verts que les siens, quand ils avaient survolé ensemble son arbre généalogique, un exercice dans lequel beaucoup de ses patients juifs excellent. La plupart savent d’où ils viennent et ceux qui ne le savent pas font en sorte de le découvrir. Qui étaient leurs arrière-grands-parents, où avaient-ils émigré, qui s’était installé où et surtout qui avait survécu et qui avait disparu ? Victime de l’holocauste comme on disait.
Déjà lu du même auteur :
L’Héritière
Le prétendant
Danemark