Rencontre avec Christian Guay-Poliquin

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Comme prévu, vendredi 19/01, matin, j’ai eu l’occasion d’assister à une rencontre avec Christian Guay-Poliquin, un jeune auteur québécois. Nous étions accueillis dans la jeune maison d’éditions de l’Observatoire avec jus de fruit, thé ou café et viennoiserie.
Christian Guay-Poliquin est arrivé juste à 9h30, décontracté et très souriant. Il était surpris et touché que nous soyons si nombreux (une trentaine de personnes).

Pour profiter du moment et ne pas être trop dans mes notes durant la rencontre, je l’ai enregistré et voilà quelques extraits transcrits avec les mots de l’auteur, il n’y aura pas le délicieux accent québécois de Christian Guay-Poliquin, mais le vocabulaire et certaines tournures… (c’est un peu long, mais j’avais envie d’en garder une trace… )

Question  : Avant de parler de votre nouveau roman « Le poids de la neige » pouvez-vous nous parler de votre premier roman « Le fil des kilomètres »
C’est l’histoire d’un protagoniste qui décide de revoir son père après plus de dix ans, il désire renouer, avant qu’il ne soit trop tard parce que son père est malade. Mais pour se faire, il doit traverser le continent soit à peu près 4000 kilomètres, cela dit en terme de géographie aucun lieu n’est nommé, on pourrait être aussi bien dans le nord de la Russie que quelque part en Amérique du Nord. Cela n’a pas d’importance, comprenez que sa quête est une traversée. Je me suis permis de planter un décor un peu inquiétant à partir d’un détail anodin, c’est à dire en enlevant l’électricité de la vie quotidienne. Or, on se situe dans un futur imprécis et dans lequel on retrouve certains codes, certes, du genre post-apocalyptique mais, soyons avertis, il n’y a pas de zombie qui vont sortir des placards, il n’y a pas de tsunami qui vont renverser les villes. C’est simplement le fait que, par une cause qui reste mystérieuse, l’électricité manque et ne revient pas, que la vie sociale est restructurée ou du moins, tous et toutes sont forcés de revoir leur mode de socialisation, d’organisation du quotidien etc… Donc la panne d’électricité, vous comprendrez bien, force le personnage, qui veut retrouver son père, à faire certains détours et ainsi il doit contourner plusieurs écueils et cela complexifie passablement sa quête.

Cela dit, dans mon second roman « Le poids de la neige », ce n’était pas une volonté au départ de créer un univers en filiation. Mais finalement, ça s’est imposé et donc, j’ai repris mon personnage qui, sans trop dévoiler la fin du premier roman, se retrouve au deuxième roman avec les deux jambes cassés, suite à un étrange accident de voiture et se retrouve dans son village, toujours sans électricité. Dans un contexte de survie, s’occuper d’un homme gravement blessé, fiévreux, c’est une tâche complexe, une tâche qui prend du temps, donc on refile le jeune blessé à un vieillard du village qui vit en périphérie et ainsi se fonde le nœud du récit qui est la relation entre ses deux personnages qui sont contraints de passer l’hiver ensemble.
Donc « Le poids de la neige » c’est premièrement, une histoire de rémission et en second lieu, ou du moins parallèlement, c’est l’histoire aussi d’une relation intergénérationnelle et d’une complicité, certes naissante, entre deux personnages qui se retrouvent, malgré leurs volontés, à devoir faire l’un avec l’autre et à passer l’hiver ensemble.

Question : J’adore vous écouter parler. Vous devez écrire très vite ?
Oui, mais, je dois en enlever beaucoup. Écrire, c’est réécrire. C’est très différent, quand on parle comme ça, et puis, on fait une envolée et puis, on revient : « je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que je viens de dire, reprenons ça un peu… »
C’est un peu le même processus dans l’écriture, sauf, qu’on se permet de noircir beaucoup de papier, pour après ça, garder une page sur deux, une demi page, des fois, donc, pour vraiment arriver à tout ce travail d’épuration du récit. Apprendre à écrire, c’est apprendre à ne pas dire certaine chose et, contrairement à la discussion, où l’on essaye de tout nommer, ou du moins d’être là, de bien nommer les choses. Ce sont des processus très différents. Donc en écriture, même si j’ai tendance à être volubile sur papier aussi, c’est un processus qui est très laborieux.

Question : Il s’agit d’un huis clos. Il y a aussi des contraintes d’écriture, dans ce rapport là entre deux personnages un peu isolé, un peu loin de la vie.
Une contrainte dans un contexte de fiction, il n’est pas sans savoir, qu’une contrainte est une ruse. Plus on contraint notre univers, plus on doit forcer la mise en scène qu’on crée à repousser un peu les limites imposées par le genre ou par la situation initiale.
Le huis clos en ce sens est un exemple parfait d’une contrainte très forte et que l’on essaye de repousser. Au huis clos s’ajoute les gens du village qui viennent cogner à la porte, qui viennent apporter des vivres, qui viennent donner des nouvelles, qui viennent voir s’il n’y a pas quelqu’un caché dans les placards (qui n’est pas un zombi, soyons clair). Ce rapport là à l’autre, donne une certaine ouverture au huis clos. Ce huis clos là, n’est pas entièrement refermé sur lui-même. Mais certes aussi, ces deux personnages là sont en attente et ne sont pas sans rappeler « En attendant Godot » puisque leur attente est très longue et, on se demande, plus le temps qui passe, s’ils attendent quelque chose de réelle ou s’ils ne sont pas simplement en situation d’attente abstraite, parce que l’attente permet simplement de combler le vide existentiel dans lequel ils se retrouvent.

Le huis clos permet les échanges entre les deux personnages. Si le narrateur est muet, du moins aphasique, pendant le premier tiers du roman, c’est que parallèlement, son silence permet de mettre en relief, la parole, ou certes le monologue repris ou poursuivie quotidiennement par le vieillard. Il y a un jeu aussi, entre le silence et la parole que le huis clos permet de souligner.
J’ai un grand plaisir a écrire des histoires où il ne se passe rien, spécialement, parce que c’est précisément lorsque rien ne se passe que tout peut arriver. Alors, c’est pas vrai qu’il se passe rien dans « Le poids de la neige », il n’y a pas de grandes actions qui vont nous surprendre à chaque deux pages, cela dit je crois que ce sont de petits gestes ou du moins de petits détails significatifs, qui vont nous surprendre et d’ailleurs, ce qui m’intéresse dans le fond, c’est de donner du sens à certains gestes du quotidien dans un huis clos ou lorsqu’on est confronté au silence. Tout peut avoir une importance considérable. Il se passe beaucoup de choses derrière une immobilité apparente.

Question : Voilà une question purement littéraire, est-ce que vous écrivez franco-français ou vous utilisez vos délicieux termes québécois.
Ah, je dirai que j’écris plutôt à partir d’un français international, que contrairement à un grand courant ici au Québec où l’argot québécois fait vraiment partie du langage littéraire et même donc, dans la version québécoise « Du poids de la neige » comparée à la version française, on a simplement changé quelques termes, c’est encore très minime. Mais comme l’enjeu du roman n’est pas, contrairement à certains autres romans, dans la langue elle-même, mais bien dans le récit, qu’on dise une tuque ou un bonnet n’a aucune importance et mon soucis était surtout de ne pas créer un univers où le lecteur accroche ou plutôt décroche de l’histoire parce que l’emploi d’une langue québécoise le fait sourire. Le pari était vraiment pas là, c’était vraiment de plonger à l’intérieur du récit, l’aspect typiquement québécois, ou du moins nord américain, se retrouve dans mon histoire et non pas dans la langue. Tout ce passe dans la mise en scène, davantage que dans le jeu de la langue.
De ne pas situer géographiquement comme dans le premier roman, ca permet plusieurs choses, à mon sens, une décentralisation du récit, donc ce n’est un récit géographiquement situé mais qui ouvre l’imaginaire.
On est clairement dans un imaginaire des grands espaces, forestiers, montagneux qu’on retrouve un peu partout ici et donc, c’est dans cet aspect là, universel de la montagne, de la forêt, du village que je campe mon histoire et aussi, ce qui est une ruse, lorsqu’on joue le pari du réalisme et lorsqu’on nomme réellement les lieux, il faut faire attention de ne pas se piéger à ce jeu.
Je dis pas qu’il faut être absolument réaliste dans la fiction, au contraire, mais la vraisemblance, lorsqu’il est question de rapport au réel, aux détails, pour moi est importante et la fiction, en ce sens, vient nourrir la complexité du réel. Et à mon sens, on doit s’y soumettre, parce que la profondeur de la vie et même
la dimension poétique de l’existence se joue dans les détails du réel et donc, la puissance de l’imaginaire c’est d’investir ce réel, qui est le notre, pour y camper notre fiction. Donc, c’est dans ce rapport là, entre la fiction et la réalité que ce situe un peu mon univers.

Question : As-tu des influences littéraires ?
On est traversé par ce qu’on lit, récemment on entend des débats, on entend pleins de choses, certains auteurs préfèrent ne pas lire pour ne pas être contaminé par le style des autres, ah, ah, ah… je me passe de commentaires. Là dessus, moi, ce n’est pas du tout ma position.
Une référence littéraire m’habite beaucoup, et qui est très différent de ce que j’écris sur un certain point, c’est certainement, Antoine Volodine, avec tout son univers post exotique et j’étais assez content en 2015, je crois, quand il a rapporté le prix Médicis, c’est un écrivain qui a une œuvre monumentale, Antoine Volodine fait la comédie humaine à sa façon, c’est une référence très importante.
Sinon, du côté français, un écrivain peu connu et que j’adore, parce que c’est aussi un écrivain qui maîtrise l’art de dire très peu de chose de manière haletante : Hubert Mingarelli, qui a publié une quinzaine de roman dont un de ces plus beaux est « Quatre soldats. Je découvre son œuvre tranquillement, pour ne pas l’avoir, tout lu trop vite et cela en terme de concision et justement de réalité extrêmement simple, on raconte, la vie en province, des petits détails. D
ans La beauté des loutres, c’est un fermier avec son jeune employé qui font un trajet en montagne, pour aller livrer du foin au village voisin, c’est juste ça l’histoire, et c’est fantastique et d’une grande modernité.
Et dans les influences littéraires, il y a beaucoup aussi, de textes québécois et je suis aussi quelqu’un qui aime beaucoup la poésie. Au Québec aussi la poésie est très vivante,
les lectures de poésies sont tout sauf ennuyantes, la poésie nourrit donc une grande partie de mon imaginaire en fiction.

Question : C’est justement un poème qui introduit votre roman, pouvez-vous nous en parlez ?
L’auteur de ce poème c’est mon père, qui n’était pas poète, qui était sculpteur. Le contexte, comme toute découverte, c’est un hasard absolu. Mon père est décédé il y a déjà plusieurs années. J’ai, quelques de ses cartons avec ses notes, quelques souvenirs et comme il était dans le milieu des arts, il notait, il écrivait un peu comme ça et il y a quelques années, j’étais dans l’écriture « Du poids de la neige » et je tombe sur ce poème, complètement par hasard, qu’il a écrit sur un bout de papier et qu’il a rangé après, dans ses choses et voilà. Et on sent bien en même temps, que par ce seul poème, qui est certes contemplatif, il plante le décor même de ma fiction que j’étais en train d’écrire. Parfois certaines rencontres fortuites, comme ça, ont plus de sens et, je me suis permis, en faisant un clin d’œil à mon père, de reprendre son poème, pour le mettre en exergue de mon livre.

Question : Comment écrivez-vous vos romans, est-ce construit à l’avance ou pas ?
En ce qui me concerne, je suis le maître absolu. Je choisis à l’avance, mes personnages, je sais exactement, qu’est-ce qui se passe et qu’est-ce qui va arriver, et puis, si en terme de cohérence, il me manque certains éléments, je vais réfléchir, je vais en parler à des amis pour qu’on trouve une solution, pour dénouer un certain passage, pour que la cohérence globale de mon idée soit respectée, en ce sens, c’est la même chose avec mes personnages que dans le monde réel. C’est moi qui mène.

Question : vous avez beaucoup de personnalité, vous êtes très drôle, est-ce qu’il y a de l’humour dans votre livre ?
De l’humour ? A c’est drôle. Enfin, on me dit parfois, comment fais-tu pour sourire autant et écrire des romans aussi sombres. Peut-être que l’un permet l’autre…
A chaque fois je suis surpris… mes romans, je ne les veux pas sombres, au contraire, à mon sens, il y a une volonté lumineuse qui anime mon écriture, ou du moins, les histoires que je mets en scène, certes, faut la chercher un peu…

Il y aura encore deux questions : une, sur comment il a trouvé son éditeur québécois, La Peuplade, et la dernière à propos de son sujet de thèse : les enjeux du récit de chasse dans les arts narratifs au XXe siècle. En effet, Christian Guay-Poliquin est toujours étudiant doctorant.
La discussion a durée plus d’une heure et nous étions tous captivés et très intéressés… Ensuite, Christian Guay-Poliquin nous a très gentiment dédicacé son roman « Le poids de la neige » et maintenant, reste plus qu’à le lire !

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Merci à Babelio, aux éditions de l’Observatoire et à Christian Guay-Poliquin pour cette très belle rencontre !

Pour avoir une idée du délicieux accent québécois de Christian Guay-Poliquin, voici une interview faite lors du Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo en juin 2017.

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