L’Île aux enfants – Ariane Bois

51XdFwm9rhL Belfond – mars 2019 – 240 pages

Quatrième de couverture :
Pauline, six ans, et sa petite sœur Clémence coulent des jours heureux sur l’île qui les a vues naître, la Réunion. Un matin de 1963, elles sont kidnappées au bord de la route et embarquent de force dans un avion pour la métropole, à neuf mille kilomètres de leurs parents. À Guéret, dans la Creuse, elles sont séparées.
1998 : quelques phrases à la radio rouvrent de vieilles blessures. Frappée par le silence dans lequel est murée sa mère, Caroline, jeune journaliste, décide d’enquêter et s’envole pour la Réunion, où elle découvre peu à peu les détails d’un mensonge d’État.
À travers l’évocation de l’enlèvement méconnu d’au moins deux mille enfants réunionnais entre 1963 et 1982, dans le but de repeupler des départements sinistrés de la métropole, Ariane Bois raconte le destin de deux générations de femmes victimes de l’arbitraire et du secret. L’histoire d’une quête des origines et d’une résilience, portée par un grand souffle romanesque.

Auteur : Ariane Bois est romancière, grand reporter et critique littéraire. Elle est l’auteur récompensée par sept prix littéraires de : Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay, 2009), Le Monde d’Hannah (Robert Laffont, 2011), Sans oublier (Belfond, 2014), Le Gardien de nos frères (Belfond, 2015). Après Dakota song (Belfond, 2017) ,L’île aux enfants est son sixième roman. 

Mon avis : (lu en août 2019)
C’est autour d’une tragédie historique qu’Ariane Bois écrit son roman. En 1963, ,Michel Debré , premier ministre de Charles de Gaulle et député de la Réunion décide d’organiser la migration d’enfants réunionnais en Métropole, dans des départements souffrants de l’exode rurale comme la Creuse, la Lozère ou le Gers… Les enfants sont choisis dans les familles les plus fragiles, les parents sont souvent analphabètes et ils se laissent berner par la promesse d’un avenir meilleur et ils ne reverront jamais leurs enfants.
Dans cette histoire, Pauline et Clémence Rivière, deux sœurs de 6 et 4 ans, sont enlevées et embarquées de force dans un avion pour la Métropole. Là-bas, elles seront séparées et le lecteur suivra la nouvelle vie de Pauline : d’abord hébergée dans une famille d’agriculteurs, elle sera ensuite adoptée par une famille aisée et aimante. Après un choc et une méningite, elle oublie et occulte ses souvenirs de La Réunion et de sa famille d’origine. C’est donc plus de trente ans plus tard, que sa propre fille, Caroline, découvre ce secret et décide de mener l’enquête sur les origines de sa mère et de sa famille.
À travers le destin de ces deux fillettes, Ariane Bois met en lumière ce scandale de l’Histoire trop méconnu : l’exil forcé de plus de deux milles enfants réunionnais vers la Métropole entre 1960 et 1980. Un déportement organisé par l’Etat français qui arrachait et enlevait ces enfants à des parents démunis. Certains enfants ont été adoptés dans des familles aimantes et ont pu aller à l’école, mais malheureusement d’autres ont été exploités et maltraités.
Voilà une lecture bouleversante et nécessaire sur ce sujet fort et poignant.

Extrait : (début du livre)
3 novembre 1963
— Ah non ! À mon tour de jouer avec la toupie, proteste Clémence.
La petite tend une main impérieuse vers le jouet que sa sœur a fabriqué avec une graine de litchi et une allumette.
— Avance, plutôt : cette fois, je ne te porterai pas, répond celle-ci d’un air faussement sévère.
Pauline ne peut rien refuser à Clémence, c’est ainsi depuis sa naissance.
Comme chaque jour, les fillettes cheminent vers la rivière du Mât avec leurs seaux vides. Aller chercher l’eau, la rapporter sans renverser une goutte, voilà leur tâche. À la case, tout le monde travaille. Leur père coupe la canne à sucre à grands coups de sabre partout dans l’île, ne revenant que le dimanche, et en pleine saison seulement une fois par mois. À chacun de ses retours, ses mains calleuses chatouillent les filles en guise de bonjour ; et le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, leur mère veille tard à ôter les échardes et les dards qui s’y sont nichés. Papa parle fort, aime son « rhum arrangé[1] » et dévore son assiette avant d’en réclamer une autre. C’est en tout cas l’impression des filles, qui adorent jouer sur ses genoux ou grimper sur son dos en le suppliant de « faire le cheval ».
Leur mère s’emploie comme blanchisseuse chez les riches, quand sa santé le lui permet. « Monmon », comme on l’appelle, respire mal, reste souvent couchée dans le noir, si frêle que son corps bosselle à peine la nasse lui servant de lit. Même ici, dans les Hauts, où l’air est plus frais, plus sain, elle cherche l’oxygène tel un poisson échoué au bord de la rivière. Elle se trouve à l’hôpital depuis deux semaines. Quand elle s’était plainte de maux de ventre, Pauline et Clémence avaient espéré qu’elle reviendrait avec un bébé, comme les voisines, mais le médecin avait tordu le nez, prononcé un drôle de mot, « péritonite », avant d’aller chercher une ambulance. Depuis, les filles attendent leur mère.
Par chance, il y a Gramoune, leur grand-mère, avec son visage altier raviné de rides, sa tête auréolée d’une opale noueuse qu’elle relève sur son cou, et l’odeur de beignets dont elle semble se parfumer. En cette heure, elle doit trier le riz, composer les marmites du repas du soir dans la cour, le cœur de la maison. Ce cœur s’étend au potager, où des poules et des chèvres vivent en gentils serviteurs. Aux rares moments où leur Gramoune ne s’affaire pas, elle emmène les gamines prier saint Expédit. La Réunion fourmille de petits oratoires rouges édifiés en son honneur, garnis de fleurs artificielles et d’ex-voto. On vient demander au saint un mari, un travail, un bébé ou qu’une mère époumonée retrouve la santé et revienne à la maison.

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