Sauvages – Nathalie Bernard

41q-8FaKseL Thierry Magnier – août 2018 – 282 pages

Quatrième de couverture :
Jonas vient d’avoir 16 ans, ce qui signifie qu’il n’a plus que deux mois à tenir avant de retrouver sa liberté. Deux mois, soixante jours, mille quatre cent quarante heures. D’ici là, surtout, ne pas craquer. Continuer à être exactement ce qu’ils lui demandent d’être. Un simple numéro, obéissant, productif et discipliné. En un mot, leur faire croire qu’ils sont parvenus à accomplir leur mission : tuer l’Indien dans l’enfant qu’il était en arrivant dans ce lieu de malheur, six années plus tôt. A travers ce destin, Nathalie Bernard nous parle de ces pensionnats autochtones qui ont existé au Québec jusque dans les années 1990 et qui ont « accueilli » des milliers d’enfants brutalement arrachés à leur culture indienne. Entre roman historique et thriller, l’auteur nous entraîne dans une course effrénée au cœur des immenses forêts québécoises. Une chasse à l’homme qui ne possède que deux issues : la liberté ou la mort.

Auteur : Nathalie Bernard est romancière, auteur d’une vingtaine de romans publiés depuis plus de quinze ans. Éclectique, elle s’est aventurée dans les genres fantastique, thriller historique, polar, nouvelles. Elle écrit pour la jeunesse depuis plusieurs années.
Par ailleurs chanteuse et parolière, elle construit à partir de ses livres des spectacles et des mises en voix. Elle anime également des rencontres et des ateliers d’écriture pour les 7-18 ans.

Mon avis : (lu en août 2019)
Même si l’auteur est française, je trouve que ce roman a sa place dans le « Challenge Québec en Novembre ».  Nathalie Bernard a été inspirée par les terribles témoignages sur les pensionnats autochtones qui ont existé dans tout le Canada, entre 1827 et 1996. Leur but étant d’assimiler des milliers d’enfants pour qu’ils oublient leur culture amérindienne.
En décembre 2015, au nom de l’État fédéral du Canada, le Premier ministre Justin Trudeau a demandé solennellement pardon aux Autochtones du pays .
L’auteur précise bien que son roman met en scène des personnages et des lieux fictifs.
Jonas a été enlevé à sa mère alors qu’il avait 10 ans, maintenant âgé de 16 ans, il attend avec impatience le jour où sera enfin libre. Encore deux mois à supporter ce que l’on exige de lui et les mauvais traitements, ensuite, il pourra retrouver celui qu’il est vraiment et qu’il n’a jamais cessé d’être malgré les apparences. En effet, pour supporter les brimades et les humiliations de la part des prêtres et des bonnes sœurs qui les éduquent, il fait profil bas, se soumet mais mentalement il s’évade dans ses souvenirs les plus heureux, il n’oublie rien de sa fierté et de sa vie d’Indien.
Le sujet est aussi intéressant que révoltant, et le récit est poignant et émouvant, Jonas l’Indien et Gabriel l’Inuit sont terriblement attachants et le lecteur souffre avec eux.

Extrait : (début du livre)
Au pensionnat du Bois Vert, l’hiver s’étalait du mois d’octobre au mois de mai avec une température moyenne de moins vingt degrés, autant dire qu’un mur de glace s’élevait entre nous et le reste du monde. Nous étions fin mars. Il faisait toujours froid, mais l’hiver tirait à sa fin et mon temps obligatoire aussi. Je venais d’avoir seize ans, ce qui voulait dire qu’il ne me restait plus que deux mois à tenir avant de retrouver ma liberté.

Deux mois.
Soixante jours.
Mille quatre cent quarante heures.

Oui, ils m’avaient parfaitement bien appris à compter ici… Mais en attendant que ces jours se soient écoulés, je ne devais pas me relâcher. Il fallait que je continue à être
exactement ce qu’ils me demandaient d’être. Je ne parlais pas algonquin, mais français. Je n’étais plus un Indien, mais je n’étais pas encore un Blanc. Je n’étais plus Jonas, mais un numéro.

Un simple numéro.
Obéissant, productif et discipliné.

Il faisait encore nuit, mais mon horloge interne me réveillait toujours un peu avant que sœur Clotilde n’allume le plafonnier de notre chambre en hurlant : « Debout ! »
J’aimais bien ce temps paisible avant le lever. J’avais l’illusion d’une petite parenthèse qui m’appartenait.
– Qui c’est qui mâche ? demanda une voix dans le noir.
– Je parie que c’est encore le numéro quarante-deux qu’a piqué des biscuits aux sœurs ! fit une autre voix plus enfantine.
– Alors ? Qui c’est, merde ? insista la première voix.
– Il va pas te répondre… et il t’en donnera pas non plus…
Le débat fut clos par l’apparition éclair de la sœur.
– Debout ! hurla-t-elle en déversant un flot de lumière sur nous.
Papillonnant des yeux, nos regards se tournèrent en direction du lit du numéro quarante-deux. Ce dernier s’essuyait la bouche avec un air satisfait.
– Quoi ? Vous voulez ma photo ? demanda-t-il à la ronde.
Personne ne lui répondit. Mais les messes basses continuèrent.

Je jetai un coup d’œil à ma montre. Six heures huit. Je m’accordai une minute pour observer ma chambrée. Le mur, d’un blanc sale, percé de deux fenêtres striées de barreaux de métal. Le plancher grossier qui accueillait une vingtaine de lits identiques et recouverts de vilaines couvertures marron foncé. Le plafond, de plus en plus lézardé,
comme si nos rêves de fuite finissaient par le ronger. Après six années passées au pensionnat, j’étais obligé de constater que ce décor me glaçait toujours autant. Pour la centième fois au moins, je me promis que je vivrais tout l’été à la belle étoile…

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