Noyé vif – Johann Guillaud-Bachet

Masse Critique Babelio
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9782702162941-001-T Calmann Levy – janvier 2018 – 194 pages

Quatrième de couverture :
Le soleil brille haut, la mer est calme. Six apprentis marins, quatre hommes et deux femmes, quittent le port de Sète dans une joyeuse anarchie encadrée par un moniteur de voile. Parmi eux, le narrateur, un homme sombre et secret, porte sur cette bande hétéroclite un regard doux-amer. Sous ses yeux qui en ont sans doute déjà trop vu se joue un concentré de comédie humaine.

C’est alors que se lève la plus effroyable des tempêtes.  Une déferlante emporte le moniteur. Ils sont maintenant six néophytes sur ce bateau, dont un blessé. Les secours contactés les rassurent : un patrouilleur va se dérouter vers eux. Mais  le canal d’urgence de la radio grésille à nouveau. Une voix très jeune supplie, en anglais : « S’il vous plaît, nous sommes nombreux, le bateau est cassé, il prend l’eau. »
Le dilemme surgit aussitôt : qui doit être secouru en  premier ? Six Français sur un voilier qui ne tiendra peut-être pas jusqu’au bout, ou un bateau de migrants ? Tandis que les éléments continuent à s’acharner sur eux, les six s’affrontent sur la marche à suivre et la valeur des vies à sauver.

Auteur : Johann Guillaud-Bachet vit et travaille dans une commune de l’Isère. Il est aussi comédien amateur. Noyé vif, son premier roman bouscule nos certitudes et fait voler en éclats nos idées reçues.

Mon avis : (lu en février 2018)
Six adultes sont venus faire un stage de voile en Méditerranée. Quatre hommes et deux femmes vont partir pendant quelques jours en haute mer avec Vince, leur moniteur. Ils viennent d’horizon différent. Alice est prof de fac en sociologie à Paris, Prune est responsable d’un magasin de sport à Montpellier, Fred dirige une boîte d’installation de cuisines à Lyon, Franck est dameur l’hiver en Savoie et sinon travaille sur des chantiers, Bertrand est notaire à Besançon. Le narrateur est assez mystérieux, c’est un immigré syrien, il se dévoilera un peu au fil de l’histoire, le lecteur ne saura même pas son prénom… On apprendra seulement que ce prénom est exotique.
Après avoir fait connaissance entre eux et préparé le ravitaillement et l’équipement du bateau, les voilà partis pour un huis clos de dix jours. Pas facile de vivre ensemble dans un espace exiguë, avec la promiscuité des autres, sans oublier la fatigue des quarts de veille… Au début du voyage, la mer est sage et lisse mais bientôt arrive la tempête et tous se sentent bien petits face aux éléments.
Le voilier va se trouver en difficulté et lorsque l’équipage contacte les secours, il se retrouve en concurrence avec un bateau de migrant…
Ce livre est l’occasion de réfléchir sur le comportement humain en groupe, dans des conditions difficiles. Lorsque l’on craint pour sa vie, est-on toujours à la hauteur de nos convictions ? L’instinct de survie est-il supérieur à l’empathie ? Voilà un roman complètement d’actualité à découvrir.

Extrait : (début du livre)
Je n’avais pas beaucoup dormi depuis plusieurs nuits et, lorsque j’arrivai sur le parking, à 10 h 15, je me demandai vraiment ce que je faisais là. Je n’avais qu’un quart d’heure de retard, ce qui, pour quelqu’un qui vient de faire près de quatre heures de route en écoutant Radio Trafic, est finalement très tolérable. C’est du moins mon point de vue. D’ailleurs, je n’étais pas le seul, car à peine avais-je garé ma caisse qu’un type venait ranger un gros 4 × 4 juste à côté de moi. Je le vis qui me surplombait dans son cockpit, il tapotait sur son iPhone et se recoiffait dans le rétroviseur. Un type classe, presque quarante ans, il avait la tête de sa voiture, et j’ai pensé qu’il devait se raser les poils pubiens. Je suis sorti et j’ai pris mes affaires à l’arrière. D’autres personnes arrivaient à pied. Au bout du parking, des marches conduisaient à un minuscule embarcadère. Une barque pourrie nous attendait pour nous faire traverser le canal et gagner la base nautique, de l’autre côté. Il faisait beau, c’était toujours ça, et ça sentait bon, meilleur que sur les derniers kilomètres. C’est ce qui me poussa à ne pas repartir, je n’avais aucune envie de renifler encore l’odeur de marée morte en repassant par le port.
Je me suis pointé à l’embarcadère en même temps que le type au 4 × 4. Il m’a salué gentiment, et j’ai fait de mon mieux. Il y avait aussi une fille, jeune, avec des gros seins et un air gentil. On est restés un moment sur le quai à regarder nos pieds et la barque qui traversait. Elle a fini par atteindre l’autre côté et la première marche du petit escalier de pierre qui menait sur la berge. Les passagers, sûrement d’autres stagiaires, sont descendus de la barque bringuebalante et ont hissé tant bien que mal leurs gros sacs de sport sur le muret du canal. Ils se faisaient charrier. Pour traverser, il fallait utiliser une longue pagaie et lutter contre le courant. Ça avait l’air amusant, mais j’ai tout de suite senti que c’était un espace de pouvoir, une sorte de bizutage. J’avais bien observé : le mec qui menait la barque proposait avec insistance à tous d’essayer. Et tous se plantaient invariablement. Il fallait alors redoubler d’ardeur pour remonter le courant. Le type faisait ça remarquablement bien, en débardeur, ce qui mettait en valeur ses muscles. J’avais aussi noté qu’il laissait les hommes se planter pour de bon, jusqu’à ce qu’ils lui demandent de reprendre la rame – ils s’asseyaient alors piteusement contre leur sac –, alors que pour les filles, il avait tendance à vite prendre le manche avec elles, histoire de leur montrer le mouvement. Tout cela avait été ritualisé et faisait visiblement beaucoup rire du côté de la base, à gauche de l’escalier de pierre, où un groupe de gaillards et de minettes bronzés et cool rangeaient des cordages sur la jetée en fumant des roulées. À côté, le groupe des types pâles et nerveux et des filles pâles et timides faisait peine à voir. Les habitués, et les touristes. Ceux qui savaient, et ceux qui débarquaient. Je n’appartenais pas à la bonne espèce.

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