Parce que les fleurs sont blanches – Gerbrand Bakker

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Grasset – janvier 2020 – 216 pages

traduit du néerlandais par Françoise Antoine
Titre original : Perenbomen boeien wit, 2007

Quatrième de couverture :
Leur mère est partie sans laisser d’adresse, mais les jumeaux Klaas et Kees ainsi que leur petit frère Gerson forment une fratrie heureuse, entourée par leur père, sans oublier leur chien. Jusqu’à ce dimanche matin ordinaire, lorsqu’ils prennent une route de campagne bordée d’arbres fruitiers pour rendre visite à leurs grands-parents. Dans la voiture, la discussion pour savoir si les fleurs des poiriers sont roses ou blanches s’anime. Une priorité à droite non respectée, et Gerson, treize ans, se réveille à l’hôpital.
Grâce à son art de saisir l’infiniment humain, en peu de mots mais avec une gamme infinie de nuances, Gerbrand Bakker nous raconte l’histoire déchirante de ce jeune garçon, mais aussi celle d’une famille unie dans sa volonté de surmonter l’épreuve. Un roman d’une puissance rare.

Auteur : Gerbrand Bakker est considéré comme un écrivain de tout premier plan aux Pays-Bas depuis de longues années, et le succès de Là-haut, tout est calme lui a également donné une grande notoriété internationale. Publié en français en 2009, ce roman a obtenu le prestigieux Prix Impac à Dublin ainsi que le Prix Millepages en France. Sont également parus en français les romans Le détour (2013) et Juin (2016).

Mon avis : (lu en avril 2020)
Depuis que sa femme est partie sans laisser d’adresse, Gerard élève seul ses trois fils Klaas, Kees et Gerson. Seule signe vie, l’envoi depuis l’Italie de cinq cartes postales par an pour Noël et les anniversaires. Le cachet de la poste est toujours illisible, impossible d’en savoir plus sur l’endroit de villégiature de la mère.
L’ambiance de la maison est chaleureuse, tous les quatre et le chien Daan vivent heureux et très unis.
Mais voilà qu’un dimanche matin où ils sont invités chez les grands-parents, tout bascule. Ils ont un accident de voiture sur une petite route de campagne qui traverse des vergers en fleurs. Le choc est violent et Gerson qui avait la place du mort, est le plus blessé de tous. A l’hôpital, Gerson va être aidé par Harald, un infirmier attentionné, pour tenter de se faire à sa nouvelle vie. Le retour à la maison est douloureux et malgré la bonne volonté de son père et des jumeaux, Gerson garde de la colère en lui et refuse l’aide de ses proches et surtout de s’envisager un avenir…
Avec une simplicité et une justesse des mots, Gerbrand Bakker nous livre à plusieurs voix l’histoire de cette fratrie bouleversée par cet accident.
La voix principale est celles de Klaas, Kees, assimilés à une seule personne, de temps en temps Gerson prend la parole et vers la fin du livre c’est Daan le chien qui raconte… Il se dégage de ce roman bouleversant, de la mélancolie, de la poésie.
J’ai beaucoup aimé.

Extrait : (début du livre)
Nous y jouions, avant. Nous y avons joué pendant des années. Jusqu’à il y a six mois, où nous y avons joué pour la dernière fois. Après, cela n’avait plus beaucoup de sens. Nous commencions toujours dehors, au pied du vieux hêtre devant la fenêtre du salon. Le hêtre était notre point de départ. Nous posions une main sur l’écorce, puis en général c’était Klaas qui lançait le compte à rebours. Klaas est l’aîné d’entre nous. Klaas a dix minutes de plus que Kees. Gerson a trois ans de moins que nous et est arrivé seul, sans frère jumeau. Il a des frères jumeaux, nous, Klaas et Kees.
Avant que Klaas ne commence à compter, l’un de nous annonçait la cible. La porte de la cuisine. Les saules têtards. Le poulailler du voisin. Parfois même une cible plus éloignée. Le fil barbelé entre les deux bandes de terre à côté de notre maison. La lucarne des toilettes des voisins. Occasionnellement, une cible de chair et de sang. Notre père. Le chien. L’inconvénient des cibles de chair et de sang, c’est qu’elles bougent, ce qui pouvait devenir problématique, surtout avec le chien. Celui qui sifflait le mieux à l’oreille du chien avait gagné. Non parce qu’il parvenait jusqu’à la cible, mais parce que la cible parvenait jusqu’à lui.
Gerson choisissait toujours les cibles les plus difficiles, des cibles qui vous obligeaient à marcher loin, à négocier des virages, à surmonter des obstacles. Les poutres au-dessus du fossé ou la clôture électrique. Des buissons. Des tombes. Et pas n’importe quelles tombes, des tombes bien précises, si bien que du bout des doigts vous deviez tâcher de déchiffrer le nom indiqué par Gerson. Gerson venait souvent dans ce petit cimetière situé presque en face de notre maison sur une butte en plein champ. Un cimetière vieux comme le monde, où l’on ne plaçait que très rarement de nouvelles pierres. Gerson connaissait par cœur toutes ces tombes, il pouvait se les représenter les yeux fermés. Pas nous. S’il avait choisi une tombe pour cible, il nous fallait lire l’inscription du bout des doigts, et ce n’était pas facile.
« Trois… deux… un… partez ! », disait Klaas, toujours très lentement.
À trois, nous fermions déjà les yeux. À deux et un, nous essayions de nous fabriquer mentalement une photo de la maison et des alentours. Mais Klaas avait beau décompter lentement, nous n’avions jamais assez de temps pour bien développer la photo. Il restait toujours quelques taches grises et floues dessus. Et ces taches étaient les endroits que nous aurions ensuite du mal à retrouver à l’aveugle. Sur le « partez ! », nous détachions nos mains du tronc. Les premiers pas prudents s’accompagnaient à tous les coups d’une collision. De fait, nous avancions tous trois vers la même cible. Mais passé les premiers pas, nos chemins se séparaient. Nos photos mentales étaient différentes et nous prenions d’autres directions. Nous essayions de marcher sans bruit. Rien ne devait distraire notre attention et rien ne devait révéler aux autres notre propre position.
Quand il n’y avait pas de vent, il régnait un énorme silence. Plus nous essayions de percevoir les pas des autres, plus nos oreilles bourdonnaient. Quand il y avait du vent, en revanche, la bourrasque s’engouffrait à travers les arbres avec la force d’un ouragan. De quel arbre provenait quel bruit ? Ce frémissement crépitant, c’était le peuplier solitaire à côté de la remise à vélos. Le chuchotis aigu et bref, ce devait être la petite rangée de saules étêtés, au bord du fossé longeant la maison. Le sifflement maigrelet, presque grésillant, provenait du cèdre dans le jardin de derrière. Le vent nous orientait, nous apprenions à reconnaître le bruit des arbres.

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(4) Couleur

Déjà lu du même auteur :
la_haut_tout_est_calme Là-haut, tout est calme

2 réflexions sur “Parce que les fleurs sont blanches – Gerbrand Bakker

  1. Je note aussi ce titre, mon épouse avait beaucoup apprécié « Là haut, tout est calme » également. La littérature néerlandaise contemporaine est finalement bien riche, il faut s’en féliciter 🙂

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