Châtiment – Perceval Everett

Version 1.0.0 Actes Sud – février 2024 – 368 pages

traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut

Titre original : The Trees, 2021

Quatrième de couverture :
Une série de meurtres brutaux secoue la petite ville de Money, Mississippi : des hommes blancs sont retrouvés atrocement mutilés. Mais ces meurtres recèlent un mystère, car sur chaque scène de crime on retrouve un second cadavre qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Emmett Till, un garçon noir lynché dans la même ville en 1955.
Lorsqu’un duo d’enquêteurs tout en second degré est dépêché sur les lieux, il se heurte à la résistance attendue du shérif, de ses adjoints, du légiste et d’une cohorte de Blancs tous plus racistes les uns que les autres. Les deux agents spéciaux pensent avoir affaire à des crimes punitifs…
Dans cette comédie noire audacieuse et provocatrice, Everett a le racisme et les violences policières dans le collimateur et déploie son intrigue à un rythme effréné, ne laissant aucune chance au lecteur de détourner le regard.

Auteur : Diplômé de littérature et de philosophie, Percival Everett, écrivain, poète et peintre, dirige le département de littérature de la Southern California University. Aux États-Unis, ses romans ont souvent été salués par des prix littéraires, dont celui décerné par le National Book Critics Circle pour l’ensemble de son œuvre. Perceval Everett a également été finaliste du prix Pulitzer 2022 avec «Châtiment». Ses autres livres traduit en France sont «Glyphe» (2008), «Le Supplice de l’eau» (2009), « Pas Sidney Poitier» (2011), «Montée aux enfers» (2012) et «Percival Everett par Virgil Russell» (2014).

Mon avis : (lu en mai 2024)
Voilà un polar plutôt surprenant. L’intrigue se déroule à Money, petite ville du Mississipi. Une série de meurtres a lieu contre des hommes blancs, ils sont atrocement mutilés et à côté de chacun des cadavres, on retrouve également le cadavre d’un homme noir mais celui-ci disparaît peu de temps après de la morgue… pour réapparaître sur la scène de crime suivante… Un duo d’enquêteurs noirs, Jim Davis et Ed Morgan, est envoyé par le MBI (Mississippi Bureau of Investigation) pour mener l’enquête. Ils sont accueillis plutôt froidement par le shérif, ses adjoints et le légiste local, tous des Blancs…
Money est la ville où a été lynché le jeune Emmett Till en 1955. Accusé d’avoir sifflé une jeune fille blanche, il a été torturé à mort et deviendra l’un des emblèmes du mouvement pour les droits civiques.
Les deux enquêteurs noirs sont formidables, ils mènent leur enquête avec flegme et leurs dialogues sont émaillés d’humour noir. L’écrivain afro-américain Percival Everett brosse ici le portrait d’une Amérique pleine de boue et de haine. Ici, les Rednecks, adeptes de Donald Trump, ne valent pas mieux que leurs ancêtres du Ku Klux Klan. A leur tour d’avoir peur… Ce fantôme noir qui apparaît et disparaît et qui s’attaque aux racistes blancs les terrifient !
Un petit bémol pour la conclusion qui manque d’explications…
Cette comédie noire, à la fois drôle et provocatrice est très documentée et la liste des noms de chaque victime de lynchage aux États-Unis depuis 1913 qui apparaît au cœur du livre est terrible.

Extrait : (début du livre)
Money, dans le Mississippi, ressemble exactement à ce que son nom évoque. Baptisée dans cette double tradition, tenace dans le Sud, d’ironie mêlée de nescience, la ville porte un nom teinté de tristesse, indice d’une ignorance avouée qu’on est bien obligé d’intégrer, puisque, regardons les choses en face, on ne s’en débarrassera pas.
Juste aux abords de Money se trouvait ce que l’on pourrait considérer comme un genre de banlieue, voire un quartier, assemblage finalement plutôt substantiel de maisons modestes, tout en longueur ou à extensions, aux parois de vinyle, et officieusement nommé Small Change, “petite monnaie”. Dans l’une des cours à l’herbe défunte, autour de la bordure ébréchée d’une piscine sans eau ornée de sirènes aux teintes passées, se tenait une petite réunion de famille. La réunion n’était ni festive ni spéciale, mais habituelle.
C’était la maison de Wheat Bryant et de sa femme, Charlene. Wheat était entre deux emplois, était toujours, en continu, perpétuellement entre deux emplois. Charlene ne manquait pas une occasion de faire remarquer que, en général, le mot “entre” suggérait la présence de quelque chose à chaque extrémité, de deux “quelque chose”, deux destinations, et que Wheat, n’ayant jamais eu qu’un seul emploi de sa vie, n’était donc entre rien du tout. Charlene travaillait comme réceptionniste à la Foire aux Tracteurs de Money J. Edgar Price Propriétaire (nom officiel de l’entreprise, sans virgule), qui assurait la vente et l’entretien, même si fort peu d’affaires y avaient été conclues récemment, ou de réparations assurées. Les temps étaient durs à Money comme aux environs. Charlene portait toujours un dos-nu jaune, de la couleur de ses cheveux décolorés qu’elle faisait gonfler, pour la simple raison que cela mettait Wheat en rogne. Wheat buvait à la chaîne des canettes de Falstaff et fumait à la chaîne des cigarettes Virginia Slims, parce qu’il était féministe, prétendait-il, disant à ses enfants que la bière était nécessaire à l’entretien de sa panse et les cigarettes à la régulation du transit.
Quand elle n’était pas dans la maison, la mère de Wheat, Mamie Carolyn ou Mamie C, circulait sur un de ces buggys électriques à larges pneus du Sam’s Club. Le buggy n’était pas simplement semblable à ceux du Sam’s Club ; il avait en fait été définitivement emprunté au Sam’s Club à Greenwood. Il était rouge, avec l’inscription am’s Clu en lettres blanches. Le moteur électrique poussif émettait en permanence un ronron sonore qui rendait la conversation avec la vieille femme assez problématique.
Mamie C avait toujours l’air un peu triste. Pas étonnant. Wheat était son fils. Charlene la haïssait presque autant qu’elle haïssait Wheat, mais sans jamais le montrer ; c’était une vieille femme, et dans le Sud, on respecte les aînés. Ses quatre petits-enfants, âgés de trois à dix ans, ne se ressemblaient en rien, mais on voyait qu’ils étaient d’ici, de cette ville, de cette famille. Ils appelaient leur père par son prénom et leur mère Hot Mama Yeller (1), le surnom de cibiste qu’elle utilisait pour bavarder avec les camionneurs tard le soir quand toute la famille dormait, et parfois en cuisinant.

(1) “Maman chaudasse et braillarde”

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