Cinq petits indiens – Michelle Good

Lu en partenariat avec Masse Critique et Seuil Voix Autochtones

91EOjUCDJRL Seuil Voix Autochtones – mars 2023 – 345 pages

traduit de l’anglais (Canada) par Isabelle Maillet

Titre original : Five Little Indians, 2020

Quatrième de couverture :
Canada, fin des années 1960. Des milliers de jeunes autochtones, libérés des pensionnats, essaient de survivre dans le quartier d’East Vancouver, entre prostitution, drogue et petits boulots.
Il y a Maisie, qui semble si forte ; la discrète Lucy, épanouie dans la maternité ; Clara, la rebelle, engagée dans l’American Indian Movement ; Kenny, qui ne sait plus comment s’arrêter de fuir, et, enfin, Howie, condamné pour avoir rossé son ancien tortionnaire.
D’une plume saisissante, Michelle Good raconte les destins entremêlés de ces survivants. Un roman choral bouleversant.

Auteure : Michelle Good est une autrice Crie appartenant à la nation Red Pheasant. Elle a travaillé comme avocate auprès des survivants des pensionnats autochtones pendant plus de 20 ans et elle a également publié de la poésie, des essais et des nouvelles dans de nombreux magazines et anthologies. Cinq Petits Indiens a reçu, entre autres, le prix du Gouverneur général 2020 et le prix du public Canada Reads de Radio-Canada.

Mon avis : (lu en mars 2023)
Dans ce roman bouleversant, l’autrice nous raconte le destin de cinq «  survivants », Maisie, Lucy, Kenny, Clara et Howie. Cinq jeunes autochtones canadiens qui sont passés par les pensionnats de la honte. Ce sont des enfants qui ont été arrachés à leurs familles et envoyés dans ses écoles pour y être « assimilés » et « civilisés ». Séparés de leur famille dès l’âge de six ans et jusqu’à leurs 16 ans, ils ont été maltraités et abusés.
Le roman évoque un peu ce qui s’est passé dans les pensionnats mais il est surtout question de l’après pensionnat… En effet, dès leurs 16 ans, ils sont renvoyés du pensionnat et se retrouvent livrés à eux-même, sans toit, sans ressource… Lorsqu’ils retournent dans leur famille, ils se sentent souvent en décalage : difficile de comprendre pourquoi ils ont été abandonnés par leurs proches. Lorsqu’ils se retrouvent en ville, à Vancouver dans le roman, ils n’en connaissent pas les dangers…
Lorsque Lucy arrive à Vancouver, elle va pouvoir compter sur son amie Maisie sortie une année plus tôt. Maisie semble si forte et pourtant elle a été détruite par tout ce qu’elle a subit au pensionnat. Après de nombreuses tentatives d’évasion, Kenny va réussir à fuir le pensionnat. Durant son séjour, il avait su aider et soutenir les plus petits comme Lucy et Howie. Lucy va s’épanouir en créant une famille et en élevant sa fille.
Howie fera un long séjour en prison après avoir battu son ancien agresseur qui n’a jamais eu à répondre de ses actes…
Clara est une rebelle, elle va s’investir dans le Centre Communautaire Indien.
Avec sa rencontre avec Mariah, une vieille chamane, Clara pourra renouer avec ses racines et transformer sa colère pour aider les autres survivants.
Un très beau roman fort , bouleversant qui illustre tous les dégâts que cette politique inhumaine a engendré.

Merci Babelio et les éditions Seuil Voix Autochtones pour cette belle découverte.

Extrait : (Prologue)
Immobile derrière la maison de Mariah, Clara sentait la chaleur de cette fin d’été monter du sol. Elle regarda au pied de la colline les assistants de son amie qui préparaient la hutte de sudation. Alors qu’elle se détournait, un reflet argenté à l’est attira son attention. Elle jeta un coup d’œil dans cette direction, vers les nombreux sentiers que Mariah et elle avaient foulés tant d’années auparavant. Il lui sembla alors apercevoir son chien, pourtant mort depuis longtemps – silhouette spectrale courant devant elle comme autrefois. Elle se dirigea vers le chemin qu’elle avait emprunté si souvent avec Mariah pour aller poser des collets. Un léger tintement, porté par la brise, s’élevait du bosquet autour de la hutte. Elle marcha un bon moment, sans se soucier de l’heure. Lorsqu’elle retourna enfin sur ses pas, le soleil était à son zénith et les feuilles de bouleau miroitaient autour d’elle.
Il était un peu plus de midi quand elle revint chez Mariah. Kendra qui, à l’entrée de la maison, observait les environs, sourit
en la voyant approcher.
– Je me demandais où tu étais, dit-elle. Ça va ?
– J’ai tellement de souvenirs ici…, répondit Clara.
Elle s’approcha de la jeune femme pour l’enlacer. Kendra, la fille de sa plus vieille amie, était pour elle comme l’enfant qu’elle n’avait pas eu. Elles pénétrèrent ensemble dans la maison où Mariah avait sorti son bol de fumigation.
– Venez là, toutes les deux.
Docilement, elles allèrent s’asseoir à côté de Mariah, qui faisait maintenant brûler son mélange spécial de plantes médicinales en
récitant une prière dans sa douce langue crie. Clara saisit la main de Kendra. Elles prièrent en silence tandis que leur aînée préparait une offrande pour les anciens. Lorsqu’elles rouvrirent les yeux, détendues, une atmosphère de paix et de beauté baignait l’intérieur tout simple de la maison. Le pick-up serait bientôt là. Clara se pencha vers Mariah.
– Kendra est médecin, tu sais. La première Indienne médecin du Canada.
– Aborigène, rectifia Kendra.
Clara leva les yeux au ciel.
– Autochtone, aborigène… Peu importe. Je resterai une Indienne tant que la Loi sur les Indiens n’utilisera pas un mot plus juste.
Mariah posa une main sur la sienne.
– Ah non, pas de politique ici.
– Mariah aussi est médecin, reprit Clara à l’adresse de Kendra. C’est elle qui m’a remise sur pieds.
Visiblement embarrassée, Kendra haussa les épaules. Clara éclata de rire.
– Oh, la science qu’elle possède est bien différente de la tienne ! Elle l’a apprise ici, sans avoir besoin d’aller dans une école spéciale.
Les trois femmes gardèrent ensuite le silence en attendant l’arrivée du pick-up. Celui-ci se gara peu après devant la maison. Le conducteur descendit puis les salua quand elles sortirent l’accueillir.
D’un geste, Mariah lui indiqua la direction à prendre.
– Les assistants sont près de la hutte. Tu auras besoin d’eux.
Le conducteur s’éloigna. Les femmes rentrèrent et Clara entreprit de préparer du thé pour les nouveaux arrivants.

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