La nuit des pères – Gaëlle Josse

61ihYKxvGbL Les Éditions Noir Sur Blanc – août 2022 – 192 pages

Quatrième de couverture :
« Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m’as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m’as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j’ai voulu faire mentir ta malédiction. »
Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l’oubli.
Après de longues années d’absence, elle appréhende ce retour. C’est l’ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer.
Entre eux trois, pendant quelques jours, l’histoire familiale va se nouer et se dénouer.
Sur eux, comme le vol des aigles au-dessus des sommets que ce père aimait par-dessus tout, plane l’ombre de la grande Histoire, du poison qu’elle infuse dans le sang par-delà les générations murées dans le silence.
Les voix de cette famille meurtrie se succèdent pour dire l’ambivalence des sentiments filiaux et les violences invisibles, ces déchirures qui poursuivent un homme jusqu’à son crépuscule.
Avec ce texte à vif, Gaëlle Josse nous livre un roman d’une rare intensité, qui interroge nos choix, nos fragilités, et le cours de nos vies.

Auteure : Venue a l’écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman, Les heures silencieuses, en 2011, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et de Noces de neige en 2013. Ces trois titres ont remporté plusieurs récompenses, dont le prix Alain-Fournier et le prix national de l’Audio lecture en 2013 pour Nos vies désaccordées. Le dernier gardien d’Ellis Island a été un grand succès et a obtenu, entre autres récompenses, le prix de Littérature de l’Union européenne. Une longue impatience a reçu le Prix du public du Salon de Genève, le prix Simenon et le prix Exbrayat. Une femme en contre-jour a remporté le prix Terres de Paroles 2020 et le prix Place ronde du livre photographique. Ce matin-là, paru en 2021, a également rencontré une très large audience. Elle signe son retour à la poésie avec son recueil Et recoudre le soleil, paru en 2022. La nuit des pères, son nouveau roman, est paru fin août 2022. La plupart de ses romans sont traduits dans de nombreuses langues et étudiés dans les lycées. Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille a Paris et vit entre Paris et la région parisienne. Elle est chevalier des Arts et Lettres et Chevalier de la Légion d’Honneur.

Mon avis : (lu en décembre 2022)
Après plus de vingt ans d’absence et à l’appel de son frère Olivier, Isabelle retourne dans la maison familiale où vit toujours son père. Ce dernier, ancien guide de montagne, a bien vieilli et c’est surtout sa mémoire qui devient défaillante.
Dix ans plus tôt, après la mort de leur mère, Olivier est revenu au village pour se rapprocher
Ce retour est l’occasion pour Isabelle d’affronter ses souvenirs et ce père dont la relation a toujours été difficile. Il était souvent absent, parti pour des courses en montagne, muré dans le silence ou alors il piquait des colères incompréhensibles pour l’enfant qu’Isabelle était. Devenue adulte, il est temps pour Isabelle de comprendre le comportement de ce père dont elle attendait tant…
Une histoire de famille bouleversante, parfaitement servie par une écriture poétique, précise, humaine, sensible.
Un très beau roman qui se lit presque d’une traite tellement le lecteur est emporté par les mots et les sentiments.

Extrait : (début du livre)
À l’ombre de ta colère, mon père, je suis née, j’ai vécu et j’ai fui.

Aujourd’hui, me voici de retour. J’arrive et je suis nue. Seule et les mains vides.
Il y a longtemps que je ne suis pas venue. Une éternité. C’est ce qu’on dit lorsqu’on ne sait plus. Répondre avec précision m’obligerait à ouvrir des agendas et des calendriers, à sonder ma mémoire, à laisser surgir trop d’images et me faire bousculer par leur incontrôlable irruption.
Je résiste de toutes mes forces à ce travail d’excavation, à la tentation de feuilleter d’imaginaires éphémérides pour une information qui au fond m’importe peu. Disons de nombreuses années, des Noëls et des étés pour lesquels j’ai dit peut-être, j’ai dit on va voir, et je ne suis pas venue.
Pour l’heure, tu vois, collée à la porte de ce wagon de TGV, j’attends que la décélération prenne fin, que le wagon s’immobilise et que je puisse enfin sortir.
De l’air, je veux de l’air. J’ai l’impression d’avoir passé mille ans dans ce train, chemise collée à ma peau comme un buvard, gorge brûlante et mains gonflées. Ce n’est pas que je sois pressée de te retrouver ni de retrouver tout ce qui m’attend, mais comme toi, j’aime être libre de mes mouvements. Nous avons cela en commun, à défaut d’autre chose, cette envie de liberté, brutale et non négociable. Là, tout de suite, je veux marcher, avancer, ne plus piétiner sur les talons des voyageurs encombrés, agglutinés dans cet espace malcommode, devant les portes, en équilibre instable dans les oscillations de la rame.

J’arrive et déjà le souvenir de ta voix cogne dans ma tête. Tu ne seras jamais aimée de personne. Tu m’as dit ça, un jour, mon père. Tu vas rater ta vie. Tu m’as dit ça, aussi.
De toutes mes forces, j’ai voulu faire mentir ta malédiction.

Alors, non, je ne suis pas pressée. Olivier sera là, dans le hall, à l’heure et même en avance, avec sa voiture garée comme il faut, où il faut. Égal à lui-même. Au téléphone, il ne m’a pas beaucoup laissé le choix. Ça serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu’on parle de papa. Et puis, ça lui fera plaisir.
Voilà ce qu’il m’a dit.

Il avait hésité sur les derniers mots.

Petit bac 2023(1) Moment de la journée

 

Déjà lu du même auteure :

Nos_vies_d_saccord_es Nos vies désaccordées

71+Yjs+mwGL Une femme en contre-jour

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