Une femme en contre-jour – Gaëlle Josse

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Les Éditions Noir Sur Blanc – mars 2019 – 153 pages

J’ai Lu – août 2020 – 160 pages

Quatrième de couverture :
« Raconter Vivian Maier, c’est raconter la vie d’une invisible, d’une effacée. Une nurse, une bonne d’enfants. Une photographe de génie qui n’a pas vu la plupart de ses propres photos. Une Américaine d’origine française, arpenteuse inlassable des rues de New York et de Chicago, nostalgique de ses années d’enfance heureuse dans la verte vallée des Hautes-Alpes où elle a rêvé de s’ancrer et de trouver une famille. Son œuvre, pleine d’humanité et d’attention envers les démunis, les perdants du rêve américain, a été retrouvée par hasard – une histoire digne des meilleurs romans – dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meubles de la banlieue de Chicago. Vivian Maier venait alors de décéder, à quatre-vingt-trois ans, dans le plus grand anonymat. Elle n’aura pas connu la célébrité, ni l’engouement planétaire qui accompagne aujourd’hui son travail d’artiste. Une vie de solitude, de pauvreté, de lourds secrets familiaux et d’épreuves ; une personnalité complexe et parfois déroutante, un destin qui s’écrit entre la France et l’Amérique. L’histoire d’une femme libre, d’une perdante magnifique, qui a choisi de vivre les yeux grands ouverts. Je vais vous dire cette vie-là, et aussi tout ce qui me relie à elle, dans une troublante correspondance ressentie avec mon travail d’écrivain. »

Auteure : Gaëlle Josse est l’auteure des Heures silencieuses, Nos vies désaccordées (prix Alain-Fournier 2013), Noces de neige et Le dernier gardien d’Ellis Island, qui a reçu le prix de littérature de l’Union européenne en 2015 et qui a été traduit dans une dizaine de langues.

Mon avis : (lu en mai 2022)
Cela fait longtemps que je voulais lire ce livre racontant l’histoire de Vivian Maier, cette artiste découverte par hasard… J’avais entendu parler de cette « photographe de rues » autodidacte découverte après sa mort mais je m’y suis vraiment intéressée après avoir vu sur Arte, le film documentaire « À la recherche de Vivian Maier ».
Dans ce récit chronologique, Gaëlle Josse rend hommage à cette artiste pleine de mystère. Elle fait revivre Vivian Maier dans une biographie fidèle mais sobre. Elle revient sur sa jeunesse, ses origines françaises, ses allers-retours entre l’Europe et l’Amérique, sa famille défaillante… Puis ne quittant jamais son appareil-photo, Vivian devient bonne d’enfants. Elle a laissé des milliers de photographies, essentiellement en noir et blanc, dont beaucoup n’avaient jamais été développées. Des clichés pris sur le vif dans les rues de Chicago et New York qui témoignent de l’Amérique d’après-guerre.
Sa personnalité est déroutante, complexe, elle a mené une vie de solitude et de pauvreté. Elle a toujours voulu rester discrète, invisible et n’a jamais cherché à montrer son travail à quiconque et pourtant elle a réalisé une multitude d’autoportraits.
Dans un style sensible et élégant, l’auteure réussit à faire revivre cette femme et son histoire de manière vivante et crédible. Il restera pourtant à jamais de nombreuses interrogations sur cette artiste unique.
En bonus, je vous encourage à aller voir le site des photographies originales de Vivian Maier et mon billet sur la BD de Paulina Spucches, Vivian Maier à la surface d’un miroir.

Extrait : (début du livre)

Chicago, Rogers Park, décembre 2008

Sous le ciel blanc de ces derniers jours de décembre, les goélands argentés et les canards cisaillent l’air en piaillant au-dessus du lac Michigan gelé. Une femme âgée, très âgée, les suit du regard. Elle est sortie malgré le froid, malgré la neige qui enserre la ville dans son emprise depuis de longues semaines. Elle est venue s’asseoir, comme chaque jour, sur ce banc, son banc, face au lac. Pas trop longtemps, impossible de rester immobile par un tel froid. Ses pensées sont emmêlées, agitées comme le vol des oiseaux au-dessus du lac gelé qui cherchent des eaux encore libres de glace. Ce lac, comme une mer. On ne voit pas l’autre rive. Et si c’était la mer ? Peut-être le souvenir de quelques bateaux lui revient-il fugitivement en mémoire. Mais comment savoir, car tout vacille.
La scène ressemble à une photo qu’elle aurait pu prendre. Composition parfaite. Le banc, avec ces deux arbres nus, de chaque côté, au garde-à-vous, figés dans l’engourdissement de l’hiver. Les lignes de fuite du lac en arrière-plan. Et cette vieille femme sur ce banc, dans son manteau informe, avec ses chaussures au cuir râpé, ce chapeau de feutre abîmé par trop de pluies, trop de saisons. À côté d’elle, une boîte de conserve, ouverte. La scène semble avoir été créée pour elle, en noir et blanc.
Cette photo-là, elle ne la prendra pas. Elle n’en prend plus depuis longtemps. Où sont-ils, que sont-ils devenus, d’ailleurs, tous ces clichés pris chaque jour pendant ces dizaines d’années, par milliers, par dizaines de milliers ? Elle n’en a pas vu beaucoup. Tout dort dans des boîtes, des cartons, des valises, au fond d’un garde-meuble qu’elle ne peut plus payer depuis des années, dont elle a oublié l’adresse. Tout a-t-il été jeté, vendu ? C’est sans importance, maintenant. C’est le passé. Un temps d’avant dont quelques fragments épars surnagent peut-être dans l’océan enténébré d’une mémoire oscillante, fugitivement embrasés, par instants, comme sous le faisceau d’un phare à éclats. Ses doigts raides, engourdis, ne presseront plus jamais le déclencheur, ses yeux fatigués ne feront plus la mise au point, il ne chercheront plus le cadrage, la composition, l’éclairage, le sujet, le détail, l’instant parfait qu’il faut saisir avant qu’il ne disparaisse.
Elle est lasse, transie, malgré cette envie qu’elle garde intacte d’être dehors, toujours, et d’aller devant elle. Plus de cinquante ans qu’elle vit ici. Avant, ce fut New York. Bien avant. Le froid, l’hiver, la neige, la glace, les ciels blancs, et les étés brûlants, dans leur éternel retour.

Petit bac 2022
(5) Famille

Déjà lu du même auteure :

Nos_vies_d_saccord_es Nos vies désaccordées

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