JC Lattès – mars 2022 – 280 pages
Quatrième de couverture :
« Les deux enfants finissaient toujours par s’endormir main dans la main, l’une s’approchant trop près du rebord du matelas, l’autre le nez écrasé sur le pied du lit.
Elles restaient ainsi une bonne partie de la nuit – les doigts entremêlés. »
Deux jeunes femmes, deux destins, deux Maroc. Si une forte amitié lie dans l’enfance Kenza et Fatiha, la fille de sa nourrice, la réalité de la société marocaine les rattrape, peu à peu, dans sa sourde cruauté. Elles se retrouvent à Casablanca, fin 2011. Que s’est-il passé entre-temps ?
Quelles trahisons les séparent ? Dans un pays qui punit l’avortement et interdit l’amour hors mariage, comment ces deux fillettes, issues de milieux opposés, ont grandi et sont devenues femmes ?
Auteure : Zineb Mekouar est née en 1991 à Casablanca et vit à Paris depuis 2009. La poule et son cumin est son premier roman.
Mon avis : (lu en mai 2022)
La Poule et le cumin est le premier roman de Zineb Mekouar, Franco-Marocaine de 31 ans.
2011, dans leur ville natale, Casablanca, deux jeunes femmes se retrouvent. Elles ont grandi dans la même maison. Kenza est l’héritière d’une famille aisée, Fatiha est la fille de la domestique qui travaille chez cette famille. Le lecteur découvre tour à tour les récits de vie de ces deux personnages dont les trajectoires s’éloignent inexorablement. Kenza ira en France faire ses études à Paris, à Sciences Po, elle sera vu comme une maghrébine, elle rêve de liberté et d’émancipation mais victime de la circulaire « Guéant », supprimant la possibilité pour les étudiants étrangers de travailler en France, elle doit retourner au Maroc. Fatiha restera au pays pour faire des études d’infirmière mais en tentant d’échapper à sa condition fera souvent de mauvais choix…
C’est une fresque sociologique, un roman engagé, qui nous plonge dans le Maroc contemporain et ses contrastes, entre tradition et modernité, entre fascination et rejet de l’Occident, entre misère et richesse.
Extrait : (début du livre)
Jeudi 22 décembre 2011
Fatiha ne sait pas quoi répondre aux arguments de Soufiane. Elle se sent presque soulagée quand il se lève d’un coup, qu’il pose cent dirhams sur la table et qu’il part sans rien dire. Ses yeux la picotent, elle meurt d’envie de les frotter mais c’est une mauvaise idée, son mascara va couler et lui tracer deux cercles noirs autour des yeux. Pas question qu’elle ressemble à un chat trempé. Il faut garder le peu de dignité qui lui reste. Le couple assis à la table d’à côté a écouté leur conversation avec curiosité et n’attend qu’une chose pour parfaire le spectacle : qu’elle s’effondre. Elle ne leur fera pas ce cadeau.
Elle insulte dans sa tête Youssra, en lui souhaitant les pires maux du monde, pour elle, pour sa descendance et même la descendance de sa descendance. Cette voleuse et menteuse lui a vendu le mascara en assurant que c’était du Chanel. « Je te promets qu’il est d’origine, le vendeur du souk de Derb Ghalef me l’a juré sur ses deux enfants. Allez, prends-le, je te le fais à moitié prix. » Du Chanel, mon cul. Ce satané vendeur a mélangé du khôl chinois avec du mauvais alcool et a gribouillé Chanel sur le pot pour le vendre dix fois plus cher. Youssra doit être de mèche avec lui. Elle a essayé de la rouler, elle ! Son amie ! Sa colocataire ! Elle va lui faire payer. Fatiha prend une forte inspiration, se tourne vers ses voisins de droite, leur adresse un grand sourire et s’en va avec une démarche qu’elle imagine pleine de dignité.
Déjà quatorze heures trente. Fatiha est en retard pour sa ronde à l’hôpital. Tant pis. La seule chose importante est de comprendre ce que vient de lui dire Soufiane. Il lui a expliqué ses raisons sans oser la regarder, sans même toucher à son tajine de poulet aux olives, son plat préféré. Pas d’excuses non plus pour son silence depuis quinze jours. Depuis qu’il a su pour le bébé. Pourtant c’est lui qui a voulu lui faire l’amour « comme il faut » et pas seulement « par derrière », comme ils font d’habitude. C’est lui qui l’a pressée contre le mur derrière l’hôpital et qui lui a dit « j’ai envie de toi » comme dans les films achetés en contrebande au souk de Derb Ghalef. Elle a répondu qu’elle aussi avait envie, mais que ça attendrait le mariage. Il n’a rien voulu savoir : « Puisque je te dis que tu vas rencontrer mes parents la semaine prochaine, tu vas avoir la bénédiction de ma mère ! » L’argument de la maman a été imparable, n’est-ce pas le Coran (ou l’un des hadiths1, elle ne sait plus très bien) qui dit que « le paradis est sous les pieds de la mère » ?
(5) Animal