Zulma – octobre 2017 – 240 pages
traduit de l’islandais par
Prix Médicis étranger 2019
Titre original : Ör, 2016
Quatrième de couverture :
Se décrivant lui-même comme un « homme de quarante-neuf ans, divorcé, hétérosexuel, sans envergure, qui n’a pas tenu dans ses bras de corps féminin nu – en tout cas pas délibérément – depuis huit ans et cinq mois », Jónas Ebeneser n’a qu’une passion : restaurer, retaper, réparer. Mais le bricoleur est en crise et la crise est profonde. Et guère de réconfort à attendre des trois Guðrún de sa vie – son ex-femme, un joli accident de jeunesse, sa fille, spécialiste volage de l’écosystème des océans, et sa propre mère, ancienne prof de maths à l’esprit égaré, collectionneuse des données chiffrées de toutes les guerres du monde… Doit-il se faire tatouer une aile de rapace sur l’omoplate ou carrément emprunter le fusil de chasse de son voisin pour en finir à la date de son choix ? Autant se mettre en route pour un voyage sans retour à destination d’un pays abîmé par la guerre, avec sa caisse à outils pour tout bagage et sa perceuse en bandoulière. Ör (« Cicatrices ») est le roman poétique et profond, drôle, délicat, d’un homme qui s’en va – en quête de réparation.
Auteure : Explorant avec grâce les troublantes drôleries de l’inconstance humaine, Auður Ava Ólafsdóttir poursuit, d’un roman à l’autre, une œuvre d’une grande finesse. Ör, encensé par la presse lors de sa parution en novembre 2016, lauréat du Prix des Libraires islandais, est un tourbillon de charme, d’humour et d’humanité, qui a également valu à son auteur l’Íslensku bókmenntaverðlaunin, le plus prestigieux prix littéraire d’Islande. Auður Ava Ólafsdóttir vit à Reykjavík.
Mon avis : (lu en janvier 2022)
Jonas, 49 ans, est un homme silencieux, très grand bricoleur. Divorcé, il vient de découvrir que sa fille n’est pas tout à fait sa fille, sa mère, ancienne professeur de maths, n’a plus tout à fait sa tête séjourne dans une maison de retraite. Jonas se sent très seul et ne voit plus aucune raison de vivre… Il essaye d’emprunter le fusil de son voisin pour en finir, mais ne voulant pas traumatiser le proche qui le retrouverai, il change de plan. Il décide de quitter l’Islande pour un pays détruit par la guerre, il fait la réservation d’une chambre d’hôtel pour une semaine pour disparaître là-bas. Il part donc avec presque rien comme bagage emportant malgré tout sa caisse à outils pour pouvoir éventuellement installer un crochet solide…
Mais rien ne va se passer comme Jonas l’a imaginé. Là-bas, il réalise que son désespoir est dérisoire et ridicule face aux blessures visibles et invisibles des survivants de ce pays ravagé… Ses talents de bricoleur sont précieux là où tout est en ruines et où tout manque. Entre bricolage et rencontres, Jonas va peu à peu se rendre utile, trouver sa place et se remettre à vivre.
Un roman touchant, plein de poésie et de sensibilité.
Un merveilleux roman où chaque phrase engage la réflexion.
Extrait : (début du livre)
31 MAI
Je sais bien que j’ai l’air ridicule, tout nu, mais je me déshabille quand même. J’enlève d’abord mon pantalon et mes chaussettes, puis je déboutonne ma chemise, laissant apparaître un nymphéa d’un blanc éclatant sur ma chair rose, sur le côté gauche de la cage thoracique, à une demi-lame de couteau du muscle qui pompe huit mille litres de sang par jour, je termine par mon caleçon. Dans cet ordre. Ça ne prend pas longtemps. Me voilà nu, debout sur le parquet, devant la femme, tel que Dieu m’a fait, avec quarante-neuf ans et six jours de plus. Non que mes pensées aillent vers Dieu en cet instant précis. Il y a encore trois lattes de parquet entre elle et moi, du pin rouge de la forêt environnante, laquelle est parsemée de mines explosives. Chaque planche mesure dans les trente centimètres de large, sans compter les interstices, je tends la main, tâtonnant dans sa direction comme un aveugle qui cherche des points de repère, j’approche le bout des doigts de l’enveloppe extérieure de son corps, la peau. Un rai de lune caresse son dos par la fente des rideaux. Elle fait un pas vers moi, j’avance sur une latte qui grince, tandis qu’elle aussi tend la main, ajuste sa paume contre ma paume, ligne de vie contre ligne de vie ; je sens aussitôt un afflux tumultueux dans ma carotide, une pulsation dans mes genoux et mes bras ; je sens le flot sanguin se répandre dans mes organes. Il y a du papier peint à motif de feuillage sur le mur au-dessus du lit de la chambre numéro onze de l’Hôtel Silence et je me dis que demain je poncerai le parquet avant de le cirer.
Déjà lu du même auteur :