Lu en partenariat avec Folio
Folio – janvier 2022 – 115 pages
Mot et le reste – janvier 2021 – 112 pages
Quatrième de couverture :
« Il n’y avait pas de mots assez souples et multicolores. Les couleurs de cette nuit blanche ont réveillé en moi une palette d’espérance, bien plus que tous les amants du monde. L’hiver me sembla chaque jour plus doux, plus lumineux, plus riche en apprentissages. » Lassée par un quotidien aliénant, Anouk quitte son appartement de Montréal pour une cabane abandonnée dans la région du Kamouraska, là où naissent les bélugas. « Encabanée » au milieu de l’hiver, elle apprend peu à peu les gestes pour subsister en pleine nature. La vie en autarcie à -40 °C est une aventure de tous les instants, un pari fou, un voyage intérieur aussi. Anouk se redécouvre. Mais sa solitude sera bientôt troublée par une rencontre inattendue…
Auteur : Gabrielle Filteau-Chiba écrit, traduit, illustre et défend la beauté des régions sauvages du Québec. Encabanée, son premier roman, inspiré par sa vie dans les bois du Kamouraska, a déjà conquis un vaste public.
Mon avis : (lu en décembre 2021)
Pour fuir quelques temps l’agitation de Montréal, Anouk quitte son appartement douillet pour le Kamouraska et une cabane rustique loin de de tout… Ce court roman raconte l’expérience d’Anouk au jour le jour durant une dizaine de jours en janvier, entrecoupé par quelques pages de son journal qui sont des pensées sous forme de listes.
J’ai commencé ce livre pendant les vacances de Noël, dans une maison encore froide et pendant les quelques jours où les matins étaient givrés… L’ambiance était moins rude que dans Encabanée, mais je pouvais parfaitement m’imaginer là-bas…
Anouk se retrouve seule à devoir se débrouiller pour survivre, elle a des provisions pour se nourrir, mais pas d’eau courante, de chauffage ou d’électricité. Elle doit aller chercher de l’eau à la rivière pour remplir ses réserves qui doivent rester à proximité du poêle pour ne pas geler ou faire fondre de la neige pour avoir de l’eau. Il faut couper du bois, le mettre à l’abri, en rentrer suffisamment pour la nuit. Elle doit allumer le feu du poêle avec un rituel utilisant tour à tour différents types de bois. Régulièrement, il faut pelleter la neige pour dégager le sentier entre l’abri à bois et la cabane.
La nuit, la température est à -40 degrés, le vent souffle, la cabane grince de partout… Les coyotes rôdent…
Après les travaux physiques quotidien, Anouk s’occupe en lisant, en écrivant et en dessinant à la lueur d’une lampe à huile… Durant la nuit, elle dort tout en surveillant le feu du poêle qu’elle doit recharger en bûches… C’est rude, mais le spectacle que lui donne la nature est incomparable…
Ce confinement volontaire pourrait sembler monotone mais pas du tout, il se passe finalement de nombreuses péripéties réelles ou imaginaires lors de cet exil dans le Bas-Saint-Laurent, là où naissent les bélugas… Ce livre m’a fait penser au livre Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson…
Merci aux éditions Folio pour cette escapade immobile, dépaysante, pleine de poésie.
Extrait :
2 janvier
Le verre à moitié plein de glace
J’ai filé en douce. Saint-Bruno-de-Kamouraska, ce n’est pas la porte à côté, mais loin de moi le blues de la métropole et des automates aux comptes en souffrance. Chaque kilomètre qui m’éloigne de Montréal est un pas de plus dans le pèlerinage vers la seule cathédrale qui m’inspire la foi, une profonde forêt qui abrite toutes mes confessions.
Cette plantation d’épinettes poussées en orgueil et fières comme des montagnes est un temple du silence où se dresse ma cabane. Refuge rêvé depuis les tipis de branches de mon enfance.
Kamouraska, je suis tombée sous le charme de ce nom ancestral désignant là où l’eau rencontre les roseaux, là où le golfe salé rétrécit et se mêle aux eaux douces du fleuve, là où naissent les bélugas et paissent les oiseaux migrateurs. Y planait une odeur de marais légère et salée. Aussi parce qu’en son cœur même, on y lit « amour ». J’ai aimé cet endroit dès que j’y ai trempé les orteils. La rivière et la cabane au creux d’une forêt tranquille. Je pouvais posséder toute une forêt pour le prix d’un appartement en ville ! Toute cette terre, cette eau, ce bois et une cachette secrète pour une si maigre somme… alors j’ai fait le saut.
C’est ici, au bout de ma solitude et d’un rang (1) désert, que ma vie recommence.
Le froid a pétrifié mon char. Le toit de la cabane est couvert de strates de glace et de neige qui ont tranquillement enseveli le panneau solaire. Les batteries marines sont vides comme mes poches. Plus moyen de recharger le téléphone cellulaire, d’entendre une voix rassurante, ni de permettre à mes proches de me géolocaliser. Je reste ici à manger du riz épicé près du feu, à chauffer la pièce du mieux que je peux et à appréhender le moment où je devrai braver le froid pour remplir la boîte à bois. Ça en prend, des bûches, quand tes murs sont en carton. Un carillon de gouttelettes bat la mesure et fait déborder les tasses fêlées que j’ai placées le long des vitres.Par centaines, les glaçons qui pendent au-delà des fenêtres sont autant de barreaux à ma cellule, mais j’ai choisi la vie du temps jadis, la simplicité volontaire. Ou de me donner de la misère, comme soupirent mes congénères, à Montréal.
Je ne suis pas seule sous le toit qui fuit. Une souris qui gruge les poutres du plafond s’est taillé un nid tout près de la cheminée. Je l’entends grattouiller frénétiquement jour et nuit. Au fond, pas grand-chose ne nous différencie, elle et moi, ermites tenant feu et lieu au fond des bois, femelles esseulées qui en arrachent. Comme elle, je vais finir par manger mes bas. Comme elle, j’ai choisi l’isolation… ou plutôt l’isolement.
(1) Plus longiligne que le chemin, le rang est perpendiculaire aux montées et borde souvent des terres agricoles, des lots boisés, d’anciennes seigneuries.
(2) Voiture.
(3) Faute de nourriture, se résoudre à manger des miettes et pire, au sacrifice de ce qu’on aurait dû garder.
(2) Verbe
participe passé du verbe encabaner (québécois) : Vivre à l’intérieur, sinon tout le temps, du moins la grande majorité du temps.