Enfant de salaud – Sorj Chalandon

61LiadrsLWS Grasset – août 2018 – 336 pages

Quatrième de couverture :
Depuis l’enfance, une question torture le narrateur :
– Qu’as-tu fait sous l’occupation ?
Mais il n’a jamais osé la poser à son père.
Parce qu’il est imprévisible, ce père. Violent, fantasque. Certains même, le disent fou. Longtemps, il a bercé son fils de ses exploits de Résistant, jusqu’au jour où le grand-père de l’enfant s’est emporté  : «Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud !  »
En mai 1987, alors que s’ouvre à Lyon le procès du criminel nazi Klaus Barbie, le fils apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord. Trois ans de la vie d’un «  collabo  », racontée par les procès-verbaux de police, les interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation.
Le narrateur croyait tomber sur la piteuse histoire d’un «  Lacombe Lucien  » mais il se retrouve face à l’épopée d’un Zelig. L’aventure rocambolesque d’un gamin de 18 ans, sans instruction ni conviction, menteur, faussaire et manipulateur, qui a traversé la guerre comme on joue au petit soldat. Un sale gosse, inconscient du danger, qui a porté cinq uniformes en quatre ans. Quatre fois déserteur de quatre armées différentes. Traître un jour, portant le brassard à croix gammée, puis patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine.
En décembre 1944, recherché par tous les camps, il a continué de berner la terre entière.
Mais aussi son propre fils, devenu journaliste.
Lorsque Klaus Barbie entre dans le box, ce fils est assis dans les rangs de la presse et son père, attentif au milieu du public.
Ce n’est pas un procès qui vient de s’ouvrir, mais deux. Barbie va devoir répondre de ses crimes. Le père va devoir s’expliquer sur ses mensonges.
Ce roman raconte ces guerres en parallèle.
L’une rapportée par le journaliste, l’autre débusquée par l’enfant de salaud.

Auteur : Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est l’auteur de neuf romans et Enfant de salaud sera le dixième, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006, prix Médicis), Mon traître (2008), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011, Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013, prix Goncourt des lycéens), Profession du père (2015), Le Jour d’avant (2017) et Une joie féroce (2019).

Mon avis : (lu en septembre 2021)
Dans Profession du père, Sorj Chalandon racontait les mensonges de son père à travers son regard d’un enfant de 12 ans qui croyait tout ce que ce père lui disait… Dans ce livre, il revient sur son père et sa mythomanie maladive, alors que lui-même est adulte.
Toute sa vie, le narrateur (double de l’auteur) a été hanté par quelques phrases de son grand-père :
« … Ton père pendant la guerre, il était du mauvais côté. »,  «  je l’ai vu habillé en Allemand, place Bellecour », « tu es un enfant de salaud »…
En 2020, alors que son père est déjà mort, Sorj Chalandon retrouve
un extrait de casier judiciaire mentionnant son emprisonnement à Lille en 1945, alors que son père lui avait toujours raconté être à Berlin… Il obtient alors aux archives départementales du Nord le dossier complet de son père.
Dans ce roman, l’auteur imagine la confrontation de son père avec la vérité.

Il décide de situer cette confrontation tant espérée en 1987 à Lyon, alors qu’il est lui-même envoyé comme journaliste pour suivre le procès de Klaus Barbie…
Le roman commence par un moment très fort, lorsque le journaliste visite seul la Maison des enfants d’Izieu un dimanche matin de printemps, quelques semaines avant le début du procès.
Dans son récit,
Sorj Chalandon raconte avec beaucoup de détails le déroulement du procès Barbie qu’il a lui-même suivi en tant chroniqueur judiciaire, les terribles témoignages des survivants, les provocations de l’avocat de l’accusé et le refus de ce dernier  à assister au procès… En parallèle, il y a ce père, menteur pathologique, qui évite toute vraie discussion avec son fils, encore sous le choc après avoir lu le dossier judiciaire de son parent.
Un récit plein d’émotion que j’ai beaucoup aimé et qui se lit comme une enquête.

Extrait :
Dimanche 5 avril 1987
— C’est là.
Je me suis surpris à le murmurer.
Là, au bout de cette route.
Une départementale en lacet qui traverse les vignes et les champs paisibles de l’Ain, puis grimpe à l’assaut d’une colline, entre les murets de rocaille et les premiers arbres de la forêt. Lyon est loin, à l’ouest, derrière les montagnes. Et Chambéry, de l’autre côté. Mais là, il n’y a rien. Quelques fermes de grosses pierres mal taillées, calfeutrées au pied des premiers contreforts rocheux du Jura.

Je me suis assis sur un talus. J’ai eu du mal à sortir mon stylo. Je n’avais rien à faire ici. J’ai ouvert mon carnet sans quitter la route des yeux.
« C’était là », il y a quarante-trois ans moins un jour.
Cette même route au loin, sous la lumière froide d’un même printemps.
Le jeudi 6 avril 1944, à l’aube, c’est de ce tournant qu’ils ont surgi. Une traction de la Gestapo, suivie par deux camions civils conduits par des gars du coin. L’un d’eux s’appelait Godani. De retour à Brens, chez son employeur, il dira :
— J’ai fait un sale boulot.

Mais ce matin, seulement le bruit du vent. Un tracteur qui peine au milieu de son champ.

Je me suis mis en marche lentement, pour retarder l’instant où la Maison apparaîtrait.
Un chemin sur la gauche, une longue grille de fer forgé noir, le frôlement d’un bourdon, l’humeur mauvaise d’un chien derrière une grange. Et puis la bâtisse. Massive, trapue, coiffée d’un toit de tuiles rondes et d’une lucarne. Deux étages aux volets verts qui dominent la vallée, des grappes de lilas blancs au-dessus de la haie, du pissenlit dans le vallon et la grande fontaine asséchée, ses gargouilles assoupies au milieu d’une cour de pauvres herbes.

C’est là.

Madame Thibaudet m’attendait, au pied des trois marches qui mènent au perron.
— Vous êtes le journaliste ?
Oui, c’est ça. Le journaliste. Je n’ai eu pour lui répondre qu’un sourire et ma main tendue.
La femme est passée devant. Elle a ouvert la porte de la salle à manger, s’est figée dans un coin de la pièce, les bras le long du corps. Et puis elle a baissé les yeux. Elle semblait gênée. Son regard longeait les murs pour éviter ma présence.
Je dérangeais sa journée paisible.

Petit Bac 2021
(7) Adjectif

Déjà lu du même auteur :

Retour___Killybegs  Retour à Killybegs  mon_traitre_p Mon traître  le_petit_bonzi_p Le petit Bonzi  

la_l_gende_de_nos_p_res_p La légende de nos pères  71gOO8QLaCL Le quatrième mur 

95082944 Le quatrième mur (audio) profession du père Profession du père

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