Buchet-Chastel – janvier 2021 – 288 pages
traduit du finnois par Claire Saint-Germain
Titre original : Tiranan sydän, 2016
Présentation : Alors que l’Albanie bascule dans le chaos, Bujar, adolescent solitaire, décide de suivre l’audacieux Agim, son seul ami, sur la route de l’exil. Ensemble, ils quittent le pays pour rejoindre l’Italie. C’est le début d’un long voyage, mais aussi d’une odyssée intérieure, une quête d’identité poignante. En repoussant chaque fois un peu plus les frontières du monde, les deux garçons se frottent à cette question lancinante : comment se sentir chez soi ¿ à l’étranger comme dans son propre corps ? Deuxième roman du prodige finnois Pajtim Statovci, La Traversée puise dans le folklore albanais, le récit de voyage et les grands romans d’apprentissage pour nous livrer, dans une prose enivrante, une fiction juste et brûlante d’actualité.
Auteur : Pajtim Statovci naît au Kosovo en 1990 et émigre deux ans plus tard en Finlande avec sa famille. Professeur de littérature comparée à l’université d’Helsinki, il est l’auteur de trois romans. La Traversée est son deuxième ouvrage à être publié en français, après Mon chat Yugoslavia (Denoël, 2017). Il a remporté le prestigieux Helsinki Writer of the Year Award en 2019.
Mon avis : (lu en février 2021)
Dans les années 90, à Tirana, en Albanie, Bujar et Agim sont deux amis inséparables. Le père de Bujar est très malade et va bientôt mourir, laissant son fils de 14 ans, sa fille Ana et son épouse dépressive. Lorque le père d’Agim découvre son fils habillé en femme, Agim est rejeté par sa famille. Ainsi lorsque Ana quitte la maison sans prévenir, Bujar accepte alors de tout quitter pour partir avec Agim. Pendant quelques temps, ils restent dans la capitale, à la rue et sans-abris, vivant de vols ou de petits boulots, puis ils partent à Durrës afin de quitter définitivement l’Albanie pour l’Italie.
A tour de rôle Bujar et Agim sont les narrateurs de cette histoire, mais souvent il faut un peu de temps au lecteur pour deviner lequel des deux…
J’ai eu du mal à lire ce livre « patchwork » qui commence avec un premier chapitre, en 1998 à Rome, le narrateur est sur le point de ce donner la mort… Puis c’est la première partie qui est un flashback, durant les années 1990-1991 à Tirana (Albanie), le narrateur a quatorze ans, il se promène dans la vieille ville avec son père et son dernier lui raconte l’histoire de l’Albanie, lui offre des billes puis lui annonce qu’il est très malade… La deuxième partie commence à Rome en 1998, puis nous nous retrouvons à Berlin 1998-1999, Madrid 1999-2000, New-York 2000-2001… Pour la troisième partie, retour en 1991 et 1992 à Tirana puis Durrës… Enfin pour la quatrième partie, le lecteur se retrouve en 2003 à Helsinki en Finlande !
Tout au long de leur périple, Bujar et Agim sont confrontés à la discrimination, à la violence… Il est également question de choix de vie, d’identité…
Je suis passée à côté de cette histoire qui se lit pourtant plutôt bien mais la construction du livre m’a perdu et ne pas savoir qui est qui a également perturbé ma lecture… J’ai cependant été intéressée par les passages concernant l’Histoire de l’Albanie, ses contes et légendes…
Extrait : (début du livre)
Rome 1998
Quand je pense à ma mort, l’instant où elle survient est toujours le même. Je porte une chemise boutonnée unie et un pantalon assorti, taillés dans une étoffe fine, facile à enfiler. C’est le grand matin et je suis heureux, j’éprouve le même plaisir et la même sérénité qu’aux premières bouchées de mon plat préféré. Certaines personnes m’entourent, je ne les connais pas encore, mais un jour viendra où je les connaîtrai, et je me trouve à un certain endroit, couché sur un lit médicalisé dans ma chambre à moi, nul n’agonise à mon côté, dehors le jour se remet sur ses pieds avec la lenteur d’un vieillard rhumatisé, certains mots me parviennent de la bouche de ceux qui me sont chers, une caresse sur la main, un baiser sur la joue, la sensation du foyer que j’ai érigé autour de moi comme un sanctuaire.
Ensuite, mes organes cèdent les uns après les autres et mes fonctions corporelles s’éteignent : mon cerveau n’envoie plus d’ordres, mon sang ne circule plus et mon cœur s’arrête, impitoyablement et inéluctablement, et je ne suis plus. À l’endroit où se trouvait mon corps ne subsiste plus que peau et tissu cutané, sous l’épiderme des fluides, des os et des organes inutiles. Mourir est aussi facile que descendre un chemin en pente douce.
Je suis un homme de vingt-deux ans, qui se comporte par moments comme un gars sorti de mon imagination ; je m’appelle Anton, Adam ou Gideon, comme il plaît à mon oreille sur l’instant, je suis français, allemand ou grec, mais jamais albanais, et je marche d’une façon définie, tel que mon père me l’a appris, je vais à pas larges et francs, conscient de la position de mon torse et de mes épaules, serrant la mâchoire comme pour m’assurer que personne n’empiète sur mon territoire, et alors la femme en moi brûle sur le bûcher tout le jour durant – quand au café ou au restaurant le serveur m’apporte l’addition sans s’étonner que je sois seul, la femme brûle, et quand je découvre des défauts imaginaires dans mon plat et le renvoie en cuisine, ou quand j’entre dans n’importe quelle boutique et que les vendeuses s’approchent, la femme à l’intérieur de moi reprend feu et vient se placer dans le continuum né le jour où il nous fut dit comment la femme naquit de la côte de l’homme, non pour être homme mais pour être à son côté, à la gauche de l’homme.
Par moments je suis une femme de vingt-deux ans, qui a les manières d’une fille qui me plaît, Amina ou Anastasia, le prénom n’a aucune importance, et je bouge comme j’ai vu faire ma mère, je ne touche pas le sol du talon quand je marche et je ne tiens pas tête aux hommes, je me suis enduit le visage de fond de teint, puis je l’ai poudré, je suis passée ensuite au contour des yeux, à l’eye-liner et au crayon à sourcils, au fard à paupières et au mascara, j’ai inséré des lentilles bleues sous mes paupières pour me réincarner, et l’homme en moi ne brûle pas du tout sur le bûcher mais il m’accompagne faire un tour en ville – quand je vais au même restaurant et passe la même commande, formule les mêmes griefs, le serveur ne renvoie pas le plat en cuisine mais déclare que la cuisson de la viande est exactement celle qu’il faut, et quand il m’apporte l’addition il suit mes faits et gestes comme si j’étais une enfant, il me scrute tandis que j’extrais de mon sac la somme qu’il m’a demandée, avant de disparaître en cuisine après un vague merci.
(1) Voyage
de quoi découvrir un peu plus l’Albanie!
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