Elmet – Fiona Mozley

Lu en partenariat avec les éditions Joëlle Losfeld et Babelio

81zpzhMsQqL Joëlle Losfeld – janvier 2020 – 240 pages

traduit de l’anglais par Laetitia Devaux

Titre original : Elmet, 2017

Quatrième de couverture :
John Smythe est venu s’installer avec ses enfants, Cathy et Daniel, dans la région d’origine de leur mère, le Yorkshire rural. Ils y mènent une vie ascétique mais profondément ancrée dans la matérialité poétique de la nature, dans une petite maison construite de leurs mains entre la lisière de la forêt et les rails du train Londres-Édimbourg. Dans les paysages tour à tour désolés et enchanteurs du Yorkshire, terre gothique par excellence des sœurs Brontë et des poèmes de Ted Hughes, ils vivent en marge des lois en chassant pour se nourrir et en recevant les leçons d’une voisine pour toute éducation. Menacé d’expulsion par Mr Price, un gros propriétaire terrien de la région qui essaye de le faire chanter pour qu’il passe à son service, John organise une résistance populaire. Il fédère peu à peu autour de lui les travailleurs journaliers et peu qualifiés qui sont au service de Price et de ses pairs. L’assassinat du fils de Mr Price déclenche alors un crescendo de violence ; les soupçons se portent immédiatement sur John qui en subit les conséquences sous les yeux de ses propres enfants… Ce conte sinistre et délicat culmine en une scène finale d’une intense brutalité qui contraste avec la beauté et le lyrisme discret de la prose de l’ensemble du roman.

Auteur : Fiona Mozley est romancière et médiéviste.
Elle a grandi à York et a étudié l’histoire à Cambridge. Elle prépare à l’Université de York une thèse de doctorat en études médiévales sur le Moyen Âge tardif tout en travaillant à mi-temps dans la librairie « The Little Apple Bookshop » à York.
« Elmet » (2017), son premier roman, a obtenu le prix Somerset-Maugham 2018, et été sélectionné pour le prestigieux Man Booker Prize en 2017.

Mon avis : (lu en janvier 2020)
Elmet était « le dernier royaume celtique indépendant en Angleterre », l’auteure nomme ainsi, le lieu où se passe cette histoire, dans une région déshéritée du Nord de l’Angleterre, le Yorkshire, où la nature est sauvage presque primitive.
Daniel, sa sœur Cathy et leur père sont une famille unie qui vit en marge de la société. Ils ont construit eux-même leur maison, cultivent leur potager, chassent et cueillent pour se nourrir. Les enfants ne vont pas à l’école, mais Vivien, une voisine, leurs font la classe. Le père, une force de la nature, gagne sa vie en participant à des combats de boxe.
Dans la fratrie, Cathy est la dure, habitée par la colère, elle a besoin de vivre dehors, de se dépenser. Au contraire, Danny est le sensible, il aime s’occuper de la maison, faire la cuisine, vivre à l’intérieur. Danny est le narrateur de cette histoire.
Ensemble, en famille, leur vie est plutôt heureuse jusqu’au jour où Mr Price, un riche propriétaire terrien, les menace d’expulsion…
Ainsi, cette histoire qui commence comme un conte bucolique va peu à peu s’assombrir, devenir un combat social et se conclure dans une extrême violence, laissant le lecteur à bout de souffle.
Fiona Mozley décrit merveilleusement la nature, avec beaucoup de précision et de poésie. C’est une région qu’elle connaît bien et qu’elle sait bien partager.
Lors de la rencontre à laquelle j’ai eu la chance de participer, elle nous a expliqué qu’elle a sciemment laissé certains aspects sans réponse, car elle souhaite que le lecteur puisse imaginer lui-même certaines parties de l’histoire…

Extrait : (début du livre)
Je ne projette pas d’ombre. La fumée dans mon dos étouffe la lumière du jour. Je compte les traverses, et les chiffres défilent. Je compte les rivets et les boulons. Je marche vers le nord. Mes deux premiers pas sont lents et traînants. Je ne suis pas sûr d’avoir pris la bonne direction, mais je dois m’en tenir à mon choix : j’ai franchi le tourniquet, et la barrière s’est refermée.
Je sens encore l’odeur des braises. Contour charbonneux d’une épave qui ondule. J’entends à nouveau les voix de ces hommes et de la fille. La rage. La peur. La détermination. Puis ces vibrations destructrices dans les bois. La langue des flammes. Leurs crachats secs et brûlants. Ma soeur à la peau maculée de sang, et cette terre vouée
à la destruction.
Je longe la voie ferrée. Quand j’entends une locomotive au loin, je me jette derrière les aubépines. Pas de trains de passagers, juste de marchandises. Des wagons en acier maculés d’emblèmes inattendus : l’héraldique d’une jeunesse qui a bien vieilli. De la rouille, des gravillons, des décennies de brouillard sale.
La pluie tombe puis s’arrête. Les herbes folles sont trempées. La semelle de mes chaussures crisse dessus. Si mes muscles me font mal, je les ignore. Je cours. Je marche. Je reprends ma course. Je traîne des pieds. Je me repose un peu. Je bois dans des trous remplis d’eau de pluie. Je me redresse. Je repars.
Je doute sans cesse. Si elle est partie vers le sud en atteignant la voie ferrée, c’est fichu, je ne la retrouverai jamais. J’aurai beau marcher, trotter, courir, m’allonger au milieu des voies pour me faire couper en deux par un train, ça ne changera rien. Si elle est partie vers le sud, je l’ai perdue.
J’ai choisi le nord, alors je continuerai par là.
Je brise tous les liens. Je progresse en bordure des champs. J’escalade des barbelés, des barrières. Je franchis des zones industrielles et des jardins privés. Je ne m’occupe pas des limites des comtés, des quartiers, des paroisses. Je traverse des prés, des pâturages et des parcs.
Les rails m’aiguillent au milieu des collines. Les trains glissent dans les vallons assombris par les sommets. Je passe une nuit étendu dans la lande à observer le vent, les corbeaux, les véhicules au loin ; absorbé par les souvenirs de cette même terre, plus au sud ; avant,
bien avant ; puis par les souvenirs d’une maison, d’une famille, de ses hauts et ses bas, des revers de fortune, des commencements et des fins, des causes et des conséquences.
Le lendemain matin, je reprends ma route. Les vestiges d’Elmet gisent à mes pieds.

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Angleterre

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